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C’est ici le cas d’appliquer, dans le domaine scientifique, la grande règle politique qu’on nomme la séparation des pouvoirs : ce qui est de la compétence du métaphysicien n’est point de la compétence du géomètre, pas plus que le pouvoir législatif ne peut être confondu avec le pouvoir judiciaire. Il en est de même de toutes les autres sciences proprement dites, mécanique, physique, physiologie, etc. Le positivisme, en séparant leur domaine de celui de la métaphysique, se montre donc en parfaite conformité avec l’esprit moderne.

Maintenant, la morale elle-même est-elle une science semblable aux autres, et n’a-t-elle avec la métaphysique, comme les sciences positives, qu’une liaison indirecte et lointaine, — liaison qu’on pourrait négliger dans la théorie morale et dans la pratique morale, de manière à constituer une science des mœurs toute positive et étrangère aux spéculations sur l’univers ?

Ce qui contribue à augmenter ici le désaccord des opinions, c’est que la morale contient réellement deux parties distinctes, dont la première à coup sûr n’est qu’une étude de relations particulières, analogues aux relations qui font l’objet des autres sciences. La morale, en effet, est faite pour des hommes. Notre activité morale s’exerce donc nécessairement dans un milieu matériel. L’action de ce milieu se traduit en nous par la passion, et nos passions sont multiples, particulières, soumises à des lois déterminées, qui sont elles-mêmes des relations déterminées de simultanéité ou de succession. En un mot, nous voulons réaliser un certain idéal dans une diversité de facultés liées entre elles par des relations nécessaires. Ces relations sont l’objet de la psychologie, et la psychologie proprement dite, dégagée des questions métaphysiques, est ou peut devenir une science positive comme la physiologie. De là un certain nombre de questions dérivées, qui ne sont que l’application de la morale à la psychologie et qui offrent un caractère purement scientifique. Par exemple, la tempérance étant admise comme un bien à poursuivre, les moyens de l’atteindre formeront l’objet d’une théorie scientifique, sur laquelle on pourra s’accorder quand même on différerait sur la métaphysique. Celui qui veut devenir tempérant doit prendre telles et telles habitudes, lutter contre telles et telles tendances, résister à ses passions par tels et tels moyens, et ainsi de suite. C’est qu’il s’agit ici d’une fin particulière à atteindre par des moyens particuliers, et comme toute série de moyens, considérée en sens inverse, est une série d’effets, on peut dire encore qu’il s’agit ici d’un effet particulier à produire par des causes particulières. Aussi les préceptes pour acquérir la tempérance sont-ils subordonnés à une hypothèse et offrent-ils un caractère conditionnel. Si vous voulez être tempérans, tels et tels moyens sont nécessaires. Mais je puis,