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quelque sauvage sur le bord de l’eau, nous nous en approchions aussitôt ; mais parvenus à l’endroit où nous l’avions vu, l’homme s’était éclipsé comme par enchantement, et nulle part trace de passage. Ce fait ne manquant pas de nous surprendre, nous voulûmes en avoir le cœur net. A force de recherches, nous avisâmes l’entrée d’un ravin masqué par des branches d’arbres, et, nous courbant, nous entrâmes sous une voûte de feuillage. Au bout de 2 à 300 mètres, nous vîmes un petit sentier qui nous conduisit à un village. »

Ce n’est qu’en touchant au premier rapide qui porte le nom de Thac-Caï, que le pays commence à se peupler. En dehors des Annamites qui portent ici le nom de Nguoi-Kinh, ou gens de la capitale, on trouve trois peuplades bien distinctes ; la première est celle des Thôs, dont le langage diffère bien peu du laotien ou du siamois de la race mongolique. La seconde est formée par les Mangs, divisés eux-mêmes en quatre tribus parlant quatre dialectes d’une même langue, qui diffère également de l’annamite et du laotien. Enfin la troisième peuplade, celle-là tout à fait indépendante, porte le nom de Meo ou Chats, probablement parce que les hommes qui la composent vivent au plus haut des montagnes d’où ils ne descendent que pour acheter du sel. Ces sauvages, très fiers, n’ont jamais voulu se soumettre aux Pavillons-Noirs. On dit même qu’ils ont essayé une fois d’enlever Lao-kaï, mais qu’ils ont été repoussés avec perte. « Lorsqu’on remonte le fleuve, dit M. de Kergaradec, on aperçoit quelquefois sur le sommet des plus hautes montagnes, dans des endroits que l’on croirait inaccessibles, des espaces dénudés au milieu desquels la longue-vue permet de distinguer quelques cabanes élevées sur pilotis. Ce sont les cultures des Chats, qui, comme les Stiengs de la Cochinchine, se servent du feu pour leurs défrichemens. »

A droite du fleuve se trouve le village de Mouong-Lou, où les tribus que nous venons de citer tiennent leur marché. Les étranges costumes des femmes des sauvages Mangs donnent à ces assemblées un aspect très pittoresque. Nous avons dit que cette peuplade se divisait eh quatre tribus ; ces tribus portent des noms qui signifient : Mangs des pantalons blancs, Mangs des pantalons noirs, Mangs des fronts marqués et Mangs à cornes. Les trois premières désignations se comprennent assez. Quant à la dernière, elle provient simplement de la forme cornée de leur coiffure ; les femmes, parait-il, avec leur costume brodé en soutaches de couleur, ressemblent aux paysannes de certains cantons du Finistère. Les Mangs, ainsi que d’autres tribus du nom de Thôs, reconnaissent l’autorité de l’Annam, mais ils ne paient qu’irrégulièrement une