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des maisons généralement en paille qui ont reçu de nos soldats la dénomination pittoresque et caractéristique de paillottes. Cachées le plus souvent au milieu des vergers, entourées de haies de bambou ou d’agaves, elles sont disséminées au hasard et reliées l’une à l’autre par d’étroits et tortueux sentiers. Sur la berge du fleuve ou du canal qui avoisine la citadelle, la vie commerciale devient plus intense, les paillottes et les maisons s’alignent presque, et s’amoncellent au point de se toucher. Ici pas de quai ; l’habitation bâtie, partie sur terre, partie sur pilotis, empiète sur le cours du fleuve. Un sentier circule le long des habitations du côté opposé à la berge et aboutit généralement en aval et en amont à une place rectangulaire où se trouve le marché, grand hangar couvert en tuiles ou en paille, dans lequel la population, chaque matin, se presse bruyamment. Il faut un guide indigène pour se reconnaître dans de pareils labyrinthes. La citadelle elle-même, quand il s’agit d’une enceinte méritant ce nom, — à part les portes et quelques pagodes ou édifices administratifs d’architecture bien modeste, — ne frappe nullement l’œil de l’Européen.

Passé Sontay, on arrive sans obstacle à Hannoï ou Kécho, la capitale du Tonkin. Nous avons jusqu’à présent parcouru avec le fleuve principal la région la plus élevée de ce pays, c’est-à-dire celle qui comprend les provinces de Lang-Sh’on, Cao-Bang, Thai-Nguyên, Tuyên-Kouang, Sh’on-Tay et Hung-Hoâ. Nous entrons maintenant dans une plaine basse, semée çà et là de collines et de monticules, formée en majeure partie par des alluvions fluviales et comprenant les provinces de Quang-Yên, Haï-Dzu’ong, Bac-Dinh, Hannoï, Hung-Yên, Nam-Dinh et Ninh-Bindh, provinces conquises sans exception, en 1873, par Francis Garnier et ses lieutenans.

Cette seconde région se distingue de la première par les inondations qui la couvrent chaque année presque en entier ; comme celles du Nil, elles fertilisent tout en agrandissant lentement le delta qu’elles arrosent. L’inondation fertilisante du Fleuve-Rouge, nous apprend M. Luro[1], a lieu depuis la fin d’août jusqu’au commencement de février : le retrait des eaux à la période du changement des moussons est suivi de maladies et d’épidémies qui rendent ce moment redoutable à la population. L’opinion de tous ceux qui ont vécu longtemps au Tonkin est contraire à ce que dit ici le regretté M. Luro. Le climat de cette région, en toute saison, est beaucoup plus salubre que celui de la Cochinchine. Nous avons nous-même entendu à Manille des missionnaires espagnols parler de la salubrité de Tonkin avec le plus vif enthousiasme. La température y varie de 25 à 36 degrés pendant la saison des pluies, de mai à

  1. Décédé en 1876, victime du climat de la Cochinchine, où il occupait les fonctions d’inspecteur des affaires indigènes.