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nous allons essayer d’esquisser différera de l’ancien par plusieurs particularités essentielles ; l’aimable comtesse y perdra de l’air mourant qui lui allait si bien.


II

Sainte-Beuve, auquel rien n’échappe, avait surpris parmi les langueurs qu’il a si joliment décrites des indices d’une disposition plus vive. Il remarque à propos des Mémoires de la cour de France, où Mme de Lafayette a montré des qualités de précision et de suite assez rares chez une femme, que l’auteur d’un tel récit était, certes, un esprit capable d’affaires positives. Ailleurs il constate que cette créature vaporeuse et poétique s’entendait aux procès et qu’elle empêcha M. de La Rochefoucauld de perdre le plus beau de ses biens en lui fournissant les moyens de prouver qu’ils étaient substitués. Il va jusqu’à admettre, pour ainsi dire tout bas, dans une note, que sans quitter son fauteuil et en ne faisant que ce qui l’accommodait, Mme de Lafayette, du milieu de son indolence, surveillait très bien de l’œil son crédit. Ses concessions s’arrêtent là, et il rejette le témoignage de Gourville, qui accentue, dans ses Mémoires, le côté pratique et entendu. Il est vrai que ce témoignage devait être suspect par la manière dont il est introduit et le ton piqué qui règne dans tout le passage.

On sait qui était Gourville, et qu’après avoir porté la livrée dans la maison de La Rochefoucauld, il devint l’ami des plus qualifiés en hommes et en femmes, admis au jeu du roi, consulté et considéré par les souverains et les ministres. Il avait fondé sa fortune pendant les troubles de la Fronde, qui lui avaient fourni des occasions incomparables de déployer les ressources d’un esprit fertile en expédiens et dégagé des scrupules inutiles ; la conscience de Gourville était discrète et ne l’importunait pas mal à propos. Honnête homme pourtant à sa manière, ayant du cœur, de la fidélité et de la reconnaissance, d’une sincérité, la plume à la main, et d’un naturel qui rendent ses Mémoires très agréables. La confiance qu’on accorde à ce qu’il écrit, on la lui a refusée par exception pour la page sur Mme de Lafayette, parce que son jugement sur l’amie de son ancien maître suivait l’exposé de griefs personnels dont il se montrait touché jusqu’au fond de l’âme.

Gourville avait reçu du prince de Condé, en récompense de bons et loyaux services, la jouissance de la capitainerie de Saint-Maur, comprenant une maison, et un parc qu’il se proposait d’embellir. Il s’installait et il était dans la première ferveur de la possession et des projets, lorsque Mme de Lafayette eut la fantaisie de venir se promener à Saint-Maur. Le lieu lui plut et elle demanda à Gourville,