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donnerez quelque lieu adroitement, car en la faisant parler, vous pourrez tirer des lumières qui nous seront utiles. »

Le comte Costa avait affaire à forte partie. Mme de Lafayette ne disait que ce qu’elle voulait bien qu’on sût. « Je fus jeudi, dit-il dans une autre dépêche, chez Mme de Lafayette, que j’ai trouvée d’abord occupée par plusieurs visites, parmi lesquelles je restai jusques à ce que je la vis seule un petit moment, dans lequel je m’introduisis avec elle, lui disant que je me réjouissais que V. A. R. et Madame Royale se fussent entendus entre eux sur la forme des gardes dans le temps qu’ici on en voulait faire une grosse affaire. Elle ne dissimula d’abord qu’elle était autrement instruite que nous et me dit qu’il était aisé de s’accommoder de cette manière, puisque tout restait d’un côté et rien de l’autre. » L’entretien prit peu à peu un ton aigre. Enfin la comtesse se laissa jeter entièrement hors des gonds. Elle s’écria, poursuit Costa, « qu’elle voyait bien par la manière dont je prenais les choses que nous ne pourrions plus traiter ensemble, puisque j’étais aveuglément du parti de V. A. R. et qu’elle était de celui de Madame Royale. Je vis d’abord qu’elle s’échauffait et crus pour alors qu’il fallait rompre la conversation pour ne perdre sa confiance. Je me congédiai en lui témoignant la peur que j’avais de perdre ses bonnes grâces, et fus deux jours sans y retourner pour cacher mon empressement, qui aurait pu nuire à mes intentions. Après quoi je fus la retrouver, et l’ayant rencontrée toute seule dans son jardin, je commençai à lui parler des nouvelles de Turin… Ensuite de quoi je lui dis que les lettres de cet ordinaire portent encore que l’affaire des gardes était entièrement terminée à la satisfaction de V. A. R. Sur quoi elle commença à me dire que Madame Royale en avait usé assez généreusement en cette rencontre pour mériter que V. A. R. lui eût accordé tout ce qu’elle avait souhaité ; mais que loin de là, V. A. R. l’avait prise au mot et lui avait tout ôté ; qu’ici on n’était pas persuadé que Madame Royale fût contente, et que V. A. R. faisait peu de cas des recommandations de Sa Majesté, louant ensuite la modération de Madame Royale, qui ne poussait pas le roi à la soutenir, ce qui aurait pu causer à V. A. R. des déplaisirs plus grands que l’éloignement de M. le prince de Carignan. »

La tactique de Mme de Lafayette est visible. En même temps qu’elle rebattait les oreilles de la cour de France du récit des persécutions auxquelles l’ancienne régente de Savoie était en butte, elle faisait valoir à Turin la discrétion avec laquelle elle usait de son crédit à Versailles : il n’aurait tenu qu’à elle d’envenimer les choses ; Victor-Amédée se montrait si indocile, si indépendant ! elle avait évité jusqu’ici d’exciter le roi, mais il ne fallait pas la pousser à bout, ou elle lui découvrirait à quel point on méprisait ses avis,