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inconnus, dont les plus récens vivaient aux environs de notre ère et les plus anciens à l’époque des premières invasions aryennes. On conçoit que, parmi des fragmens littéraires aussi variés d’origine et de date, on puisse trouver des traces de tous les courans qui ont successivement ou simultanément concouru à la formation des croyances hindoues, — depuis le culte des élémens divinisés par le génie naïf des Aryens jusqu’aux conceptions les plus abstraites du panthéisme spiritualiste ou du pessimisme athée, mûries à l’ombre des sanctuaires par plusieurs siècles d’élaboration philosophique, — depuis les grossières superstitions inoculées par le contact des fétichismes autochtones et des idolâtries étrangères jusqu’aux pratiques minutieuses introduites par le ritualisme des brahmanes pour consacrer l’exploitation religieuse et sociale des castes asservies, — le tout relevé par des accens d’une piété sincère et profonde, se traduisant en élans mystiques vers un être idéal qui rappelle parfois, comme le fait observer Edgar Quinet, le dieu personnel et vivant des religions monothéistes. Cette tendance à personnifier l’Être suprême est même si prononcée dans certaines hymnes du Rig-Véda, que la plupart des indianistes s’imaginèrent d’abord y surprendre, non l’évolution naturelle de l’esprit hindou vers l’unité et la simplicité de la cause première, mais une dernière trace, un écho affaibli de quelque antique religion monothéiste, antérieure à la phase du naturalisme. Il est vrai qu’après s’être simplifiée dans le sens panthéiste, la théogonie brahmane retomba dans le polythéisme par la théorie des avatars, le dogme de la Trimurti et le maintien des anciennes divinités comme intermédiaires entre Dieu et l’homme. Mais, même dans les portions les plus récentes de la littérature védique, on remarque, à côté des théories les plus absurdes et les plus dégradantes, des passages d’une portée morale et philosophique que ne répudierait pas la métaphysique la plus élevée de notre époque. Il n’y a pas jusqu’au recueil des Pouranas, — ce Véda supplémentaire, surnommé la Bible populaire des Hindous, — qui ne montre sans cesse, derrière la physionomie mobile et transparente de ses dieux, l’Être qu’un texte nomme « le puissant Seigneur, immuable, saint, éternel, d’une nature toujours identique à elle-même, qu’il se révèle comme Brahma, Vishnou ou Siva, créateur, conservateur ou destructeur du monde. »

Lors donc que Dehendra-Nath-Tagore s’entendit opposer les conclusions panthéistes des Oupanishads, il commença par mettre en suspicion, non l’infaillibilité des Védas, mais la fidélité des versions qu’il en possédait. Il faut songer que les Védas comprenaient des milliers des textes isolés, que la connaissance de leurs parties les plus importantes était le monopole exclusif de la caste brahmane, qu’à cette époque la science européenne n’avait pas encore vulga-