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était entièrement constitué dès le temps d’Augustin. Le moine breton Pelage s’insurgea inutilement pour la liberté contre la grâce : Augustin fit prévaloir la grâce absolument souveraine.

Cependant l’église, qui ordonne à ses fidèles de croire à cette toute-puissance de la grâce, leur ordonne de croire aussi en même temps que l’homme a un libre arbitre par lequel il mérite ou démérite, de manière à être récompensé ou puni.

Cette seconde partie du dogme parait absolument contradictoire à la première ; mais il y a un mot qui répond à tout : c’est un mystère. La foi consiste à admettre tout ensemble que la grâce fait tout et que cela ne détruit pas le libre arbitre. C’est là l’orthodoxie, telle que l’a définie, en 1547, la sixième session du concile de Trente. Et l’église, parmi les condamnations qu’elle a prononcées contre Luther et Calvin, a condamné en particulier leurs doctrines sur la grâce, parce que l’un et l’autre, pour relever cette grâce divine et pour échapper aux contradictions, reniaient le libre arbitre et déclaraient que l’homme l’a perdu par l’effet du « péché originel[1]. »

Il est d’ailleurs tellement difficile à l’esprit humain de consentir à associer deux idées qu’il ne vient pas à bout d’accorder, que la théologie ne put se reposer dans les définitions du concile, et ceux qui prenaient à cœur ces questions essayèrent de résoudre le problème en sacrifiant l’un des deux termes à l’autre.

Dès 1560, de Bay ou Baius, docteur, de Louvain, hasarda des propositions qui furent condamnées comme analogues à celles de Calvin et contraires au libre arbitre.

En 1588, parut le livre du jésuite Louis Molina, sur l’Accord du libre arbitre et de la grâce, Molina se jetait dans une voie absolument opposée à celle des protestans et de Baius. Il s’efforçait de ne pas offenser la grâce et de rendre pourtant au libre arbitre ce que la grâce parait lui ôter. En même temps qu’il reconnaissait d’une part que sans la grâce l’homme ne peut rien, il soutenait d’autre part que la grâce est offerte à tous ; Il disait que l’homme est libre de l’accepter ou d’y résister, et que Dieu sachant d’avance l’usage qu’il fera de cette liberté, donne en effet la grâce à celui qui l’accepte, et ne la refuse qu’à celui qui y résiste ; de sorte que l’homme après tout a ainsi sa part dans l’œuvre de son salut.

Cette solution ne prévalut pas ; j’en dirai les raisons tout à l’heure. Le livre de Molina fut même dénoncé à Rome. Après une instruction qui dura plusieurs années, sous les papes Clément VIII et Paul V, ce dernier déclara les débats terminés, mais il ne prononça pas la sentence. La doctrine de Molina ne fut donc pas

  1. Luther avait développé ses doctrines dans le livre Se Servo Arbitrio, 1526.