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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/625

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Jamais on n’avait payé si cher le concours d’un groupe si peu nombreux. « Lord Buckingham, disait quelqu’un, pourrait compter tous ses partisans sur ses dix doigts. — Tout est à bas prix en ce moment, écrivait lord Holland, excepté l’appui des grenvillites. »

Liverpool était-il satisfait ? Non, il lui fallait encore le concours du marquis de Wellesley, l’ancien gouverneur-général des Indes, l’ancien ministre des affaires étrangères du cabinet Perceval. Wellesley, dix ans auparavant, avait essayé de s’allier aux whigs et de former avec eux un ministère. C’était donc un homme à ménager. Wellesley fut nommé vice-roi d’Irlande. Plunkett, encore un membre du groupe des grenvillites, fut envoyé dans le même pays comme attorney-général. Le premier ministre par ces deux choix croyait calmer l’Irlande. Il ne faisait que renouveler la faute commise par Pitt en 1794 lorsqu’il envoya lord Fitzwilliam à Dublin en qualité de vice-roi. Wellesley et Plunkett étaient notoirement favorables aux réclamations des catholiques. Et on les envoyait en Irlande pour représenter un gouvernement qui refusait aux catholiques l’égalité politique ! Et on laissait à côté d’eux Manners et Goulburn, l’un chancelier d’Irlande, l’autre secrétaire en chef, tous deux attachés aux doctrines les plus exclusives et les plus intolérantes du vieux parti protestant ! C’était établir l’antagonisme le plus dangereux dans la haute administration irlandaise. Et à quel moment commettait-on cette imprudence ? Au moment où la population était plus agitée que jamais, au moment où les catholiques étaient exaspérés par le rejet du Relief-Bill, au moment où les protestans étaient épouvantés par une explosion subite de mauvaises passions, par un débordement inattendu de crimes contre leurs personnes et leurs propriétés.

Depuis l’insurrection des Irlandais-Unis, en 1798, aucune prise d’armes générale n’avait eu lieu en Irlande. Depuis le complot de Robert Emmett, en 1803, aucune tentative n’avait été faite contre la domination anglaise. Les circonstances n’étaient pas favorables à des entreprises de ce genre. Les hommes importans, à la suite d’O’Connell, étaient entrés dans la voie de l’agitation légale et n’auraient pas prêté leur concours à une révolte à main armée. L’esprit insurrectionnel cependant n’était pas éteint dans les classes inférieures, mais il avait pris une nouvelle direction. Les hommes qui dans un autre temps se seraient enrôlés parmi les Irlandais-Unis étaient entrés dans une association mystérieuse connue sous le nom d’Enfans-Blancs (Whiteboys)[1]. La lutte politique avait fait place à

  1. Les Whiteboys étaient ainsi nommés parce que, dans leurs expéditions, ils se cachaient la figure avec un morceau d’étoffe blanche. Quelquefois ils mettaient tout simplement leur chemise sur leur tête.