du mois d’août, peu de jours après la clôture de la session, une tragique nouvelle, se répandait dans les cercles de Londres. Castlereagh s’était coupé la gorge dans un accès de fièvre chaude. Sa famille, son médecin, ses amis avaient cependant veillé sur lui avec la dernière sollicitude. Ils avaient éloigné de sa main les armes à feu, les couteaux, les rasoirs. Un canif, un misérable canif oublié sur une table et quelques instans d’isolement : il n’en avait pas fallu davantage pour terminer la vie du plus heureux homme d’état de l’Angleterre, du tout-puissant ministre qui, au congrès de Vienne, avait traité presque d’égal à égal avec le tsar de toutes les Russies.
On a souvent parlé du grain de sable de Cromwell. Le canif de Castlereagh n’a guère eu moins d’influence sur la marche des événemens. D’ordinaire le décor de l’histoire change insensiblement : cette fois il était brusquement renouvelé par un véritable changement à vue. Castlereagh personnifiait à l’intérieur la réaction politique et religieuse, au dehors l’entente avec les gouvernemens despotiques. Il était l’âme, la vie, la politique du cabinet Liverpool. Sa perte était irréparable pour le vieux parti tory. Robert Peel était trop jeune et n’avait pas encore assez d’autorité pour devenir leader de la chambre des communes. Un seul homme était qualifié pour occuper cette situation, et cet homme, bien qu’officiellement considéré comme un tory, ne partageait sur aucune des grandes questions du jour les idées de lord Liverpool, de lord Eldon et de lord Sidmouth. Fallait-il donc subir la dure nécessité de s’adresser à Canning ? Son talent hors de pair le désignait. L’opinion publique en dehors du parlement le réclamait. Lord Liverpool eut le bon sens de l’accepter. Canning cependant n’avait point derrière lui un grand parti dans les Chambres : à peine un petit groupe d’amis dévoués. Il était en butte à de nombreuses et puissantes inimitiés qu’il s’était attirées par son ambition intempérante, par son talent dangereux pour la raillerie, et enfin, car il faut tout dire, par sa supériorité même, qui offusquait le troupeau des médiocrités parlementaires. Le roi l’avait en horreur, et quelques mois auparavant il avait déclaré qu’il ne l’accepterait jamais comme ministre. Le mot jamais devrait être exclu de la langue politique. George III, en 1804, se flattait de ne jamais laisser Fox reparaître dans le cabinet : deux ans après, Fox était son ministre des affaires étrangères. George IV n’avait pas à beaucoup près l’énergique volonté de son père. Il ne fallut pas un mois pour triompher de ses résistances. Canning fut ministre des affaires étrangères et leader de la chambre des communes. A peine entré dans le cabinet, il y prit le ton d’un maître. Ce fut la destinée de lord Liverpool d’être quinze ans