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morale des actions humaines, il n’y a plus de règles pour juger ces actions. » Il comprend le rôle de l’historien ainsi que M. Quinet l’a tracé dans son ouvrage sur la Révolution : « L’historien doit remplir, au milieu du drame des événemens, l’office du chœur antique chargé de maintenir la justice en dépit de la bonne ou de la mauvaise fortune. Mais si, au lieu d’être le gardien des lois morales, l’historien achève lui-même de les abolir en détruisant la conscience, il détruit la trame de la justice dans l’avenir plus encore que dans le passé. » C’est à peu près le rôle du chœur antique dans les tragédies de la Grèce que Lanfrey s’est proposé de remplir à l’égard de M. Thiers, en signalant au tours de son travail, toutes les fois que l’occasion s’en présente, les défaillances morales qu’il croit rencontrer dans les appréciations de l’historien du Consulat et de l’empire ; ou peut-être faudrait-il dire, car la comparaison serait alors plus exacte, qu’il a voulu prendre à son compte la mission de celui qui avait charge à Rome de suivre en l’apostrophant le char du triomphateur.

Après M. Thiers venait tout naturellement le tour de M. Guizot. L’ancien président des conseils du roi Louis-Philippe ne s’était-il pas permis, lui protestant, de donner son avis dans les discussions pendantes au sujet de la question romaine ? Il touchait ainsi à ce qu’il y avait de plus vif dans les sentimens de Lanfrey. Aussi est-il pris à partie pour avoir signalé a le danger commun qui menacerait de nos jours toutes les églises chrétiennes, » et parce qu’il indique comment « les bases communes de leur foi (le surnaturel) étant attaquées, elles ont à les défendre le même intérêt et le même devoir, car elles périraient également dans la ruine de l’édifice sous lequel elles vivent toutes. » Il en veut beaucoup à M. Guizot de ce qu’il a cherché à prouver « que, le pouvoir temporel constituant la partie la plus essentielle des libertés du catholicisme, le protestantisme est appelé à le défendre en même temps que les siennes propres, et qu’il a une occasion admirable de faire acte de fidélité libérale comme de charité chrétienne, et de donner ainsi à l’église catholique un de ces exemples qui confèrent à ceux qui les donnent le droit de réclamer un juste retour. » Ces conseils, qui n’étaient probablement pas tout à fait dépourvus de sagesse, puisque leur esprit général règle encore l’attitude de beaucoup de protestans dans les difficultés nouvelles, mais pas trop différentes, suscitées aujourd’hui au clergé catholique, eurent le malheur d’exciter les plus violentes colères de Lanfrey. Il saisit cette occasion de juger à la hâte, avec sa rudesse accoutumée, toute la carrière politique de l’homme dont il prit plaisir à parler plus tard avec beaucoup de calme et d’équité.