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sont pour rien dans le charme que j’éprouve à venir tous les vendredis attendre ma trop modeste part d’un entretien dont ils me disputent et me dérobent le plus souvent la jouissance. Je leur en voudrais au contraire beaucoup, s’ils n’avaient pas des droits supérieurs aux miens.


Comme il était naturel, Mme d’Agoult a été désireuse de savoir ce que son jeune admirateur pensait de ses ouvrages.


… Quant à mon sentiment vrai sur vos ouvrages, puisque vous me faites l’honneur de me le demander, madame, je vous dirai en peu de mots, mais en toute sincérité, que la révélation de votre talent a été une des plus vives et des plus profondes émotions de ma vie littéraire. Je n’ai jamais lu de vous qu’un seul volume, et cette lecture m’a suffi non-seulement pour saluer en vous un des plus grands écrivains de ce siècle, mais pour vous vouer un culte ardent et passionné qui durera autant que moi… Je me sentais en vous lisant en présence d’une âme grande et noble, d’un esprit élevé, généreux, éloquent, et je m’abandonnais tout entier à cet attrait irrésistible, à cette fortune si rare, hélas ! et si enviée, sans leur disputer mon admiration et sans me demander si le vulgaire la partageait. Depuis, un de mes grands étonnemens a été de voir que votre génie, si aimé et si apprécié des natures d’élite ne fût pas plus populaire, dans le bon sens de ce mot, et qu’une voix unanime ne vous ait pas encore désigné la place que l’avenir vous destine entre vos deux sœurs de gloire, Mme de Staël et George Sand. En cherchant la cause de cette passagère injustice, qui ne peut vous atteindre, il m’a semblé qu’elle tenait en partie à un côté précieux de votre organisation artistique. Il y a en elle une élégance, une finesse, une distinction exquise qui éloigne et repousse les intelligences vulgaires. Elle ressemble à ces fleurs délicates et pures qui aiment à croître près du ciel, sur les sommets, seules sous l’œil de Dieu et loin du contact des multitudes… in alta solitudine. Je vous salue du fond du cœur, madame.


Un jugement si flatteur n’était pas pour déplaire à celle qui en était l’objet ; l’intimité s’en accroît entre Mme d’Agoult et Lanfrey. La confiance, une confiance qui s’est d’abord essayée sur les choses de la littérature, s’établit définitivement entre les deux correspondans ; elle est très vive et complète de la part de Lanfrey.


… Ce n’est pas moi qui ai prononcé le premier le mot de confiance. Si j’avais le droit d’en parler, je dirais que je me confie en vous par cela seul que je vous respecte et vous aime, et un peu aussi peut-être parce qu’il n’y a rien dans mon passé que j’aie intérêt à dissimuler.