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déborder sont parfaitement fondés, il n’en est peut-être pas tout à fait de même de ses réserves sur l’habileté du politique, ou sur les dons incomparables de l’homme de guerre. Les critiques de Lanfrey font l’effet de tomber parfois à faux, comme les éloges qu’il reproche à M. Thiers de lui avoir décernés à tout propos. On dirait que, par représailles, tandis que celui-ci avait tenu à faire gagner à Napoléon toutes ses batailles, même celles qu’il a réellement perdues, Lanfrey s’est efforcé à lui faire presque perdre toutes celles qu’il a effectivement gagnées. De part et d’autre, il y a eu parti-pris, ce dont l’impartiale vérité ne se trouve jamais bien. Dans son article sur l’ouvrage de M. Thiers, déjà Lanfrey avait laissé voir sa disposition à ne vouloir jamais abaisser la morale devant la supériorité du génie, si grande qu’elle fût. Dieu me garde de l’en blâmer ! Mais la morale exige-t-elle que, pour son plus grand honneur, on arrive à nier la supériorité avérée de celui qui a trop méprisé ses lois ? Je ne le pense pas. Serait-ce se tromper beaucoup que de reprocher à Lanfrey d’avoir souvent méconnu les prodigieuses facultés de l’homme dont la gloire, quoiqu’elle ait été fatale à plusieurs générations de Français, n’en demeure pas moins le patrimoine de la nation tout entière ?

C’est maintenant dans les lettres particulières adressées à ses amis qu’il nous faut chercher les préoccupations politiques de Lanfrey, désormais absorbé par les recherches que lui imposait son travail d’historien. Sur les affaires intérieures, elles ne varient point ; elles s’accentuent même dans un sens de plus en plus conservateur et de moins en moins favorable aux violences de l’école jacobine. Sur la politique de l’empereur au dehors, il garde toutes ses méfiances. De Cauterets, où il est allé chercher un peu de soulagement à l’état de ses nerfs toujours fort ébranlés et dont les eaux semblent lui avoir fait quelque bien, il continue à considérer les événemens du jour sous l’aspect le plus lugubre. A l’un de ses compatriotes de Savoie il écrit :


23 juillet 1866.

… Je vois si peu en beau tout ce qui se passe depuis un mois, que je me suis fait scrupule de vous envoyer mes tristes impressions, à vous qui avez bien assez des vôtres et qui n’êtes guère porté non plus à l’illusion… Je me trouve au moral dans un état d’exaspération aiguë, et au physique dans un état de sauté luxuriant dont je n’ai que faire pour le moment, mais que je voudrais être sûr de pouvoir conserver pour l’avenir. J’étais habitué à voir aller ces deux parties de mon individu de concert. J’étais malade d’un décret, ou d’un discours, ou