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plaignait de succomber à la fatigue de ses multiples occupations, vient d’ajouter à tous les fardeaux qu’il portait le portefeuille de ministre du commerce ; il n’avait trouvé personne qui méritât sa confiance ou dont la docilité lui parût suffisante. Une caricature du Kladderadatsch de Berlin le représentait délibérant autour d’une table ronde avec deux autres lui-même ; on lisait au dessous : « Le chancelier de l’empire allemand vient d’avoir une conférence avec le président du ministère prussien et avec le nouveau ministre du commerce. On assure qu’ils sont tombés d’accord sur toutes les questions ; l’ère des frottemens pénibles est close. »

Comme les hauts fonctionnaires de l’état, les partis et les chefs de partis ont l’humeur chagrine et se sentent las. Ce qui les a fatigués, c’est moins la longueur de la carrière qu’ils ont fournie que les exercices de souplesse auxquels on les a soumis. Ils éprouvent cette sorte de courbature que produit l’excès des complaisances. De tous ces malades, celui qui se porte le mieux, comme le remarque M. Bruno Bauer, est le parti du centre catholique, parce qu’il a toujours eu des principes et du caractère. À défaut d’autres avantages, il a pour lui l’amitié de sa conscience, la satisfaction d’avoir sauvé son honneur et obligé le maître à négocier avec lui. Les conservateurs sont pensifs, la mélancolie les ronge. Ils s’affligent des concessions que l’impérialisme a dû faire à la démocratie, ils ne peuvent se consoler de voir leur vieille Prusse s’en aller en morceaux ; ce n’est plus la maison que leurs pères avaient bâtie, ni son antique mobilier, ni le fauteuil où ils s’asseyaient, ni les augustes charmilles sous lesquelles ils aimaient à promener leurs pensées. Cependant le chagrin des conservateurs n’égale pas celui des libéraux, qui s’étaient fait beaucoup d’illusions et qui les ont toutes perdues. Qu’ont-ils reçu pour avoir tant donné ? Où est le prix de leurs avances et de leurs soumissions ? Dans quelle brume s’est évanouie ce gouvernement parlementaire dont ils avaient juré de doter leur pays ? Dans quelles mains ont passé ces portefeuilles qui leur étaient promis à titre de récompense bien méritée ? Ils ont voté des lois de rigueur contre les catholiques et des lois d’exception contre les socialistes, et il se trouve qu’après avoir aidé Roboam à châtier leurs ennemis avec le fouet, ils sont fouettés eux-mêmes avec des scorpions. Il est triste d’avoir manqué à la fois de caractère et de bonheur, il est triste de professer le culte du succès et de n’avoir point de succès. Déçus, humiliés, battus de l’oiseau, les nationaux-libéraux sont en proie aux divisions, aux querelles intestines ; les malheureux se querellent toujours. Toutefois, au milieu de ces visages allongés, il y a un homme content, M. de Treitschke. « C’est à l’heure où son idéal commence à se ternir et à pâlir, que le chauvinisme redouble d’assurance et qu’il ouvre aux badauds sa boutique pleine de drogues miraculeuses. » M. de Treitschke n’en démordra pas ; s’il y a quelque part quelque chose qui cloche, il en