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gratification qu’on accepte pour activer une affaire, et l’on en arrive graduellement à expédier avec tous les documens voulus, falsifiés sans doute dans les bureaux mêmes, des marchandises qui n’ont pas payé les droits. Le fait s’est passé tout récemment dans un grand port de la Méditerranée, et, selon l’usage, personne n’a été puni. De plus, comme il y a un trop grand nombre de partis, si bien que pour un qui jouit du pouvoir, trois ou quatre sont dans l’opposition ; comme chacun d’eux a son personnel exclusif ; comme enfin tout ancien employé ne veut plus entendre parler de travail pour gagner sa vie, il en résulte que chaque place de l’administration espagnole, — et elles sont nombreuses, — représente quatre mécontens qui mettraient, chacun de leur côté, le feu aux quatre coins de la Péninsule pour récupérer leurs emplois. C’est là, toute prête, l’armée civile de la révolution ou de la réaction, doublement redoutable et par le nombre et par la faim.

Jetons maintenant un regard sur les finances, cette partie si importante de l’administration, le spectacle n’est pas plus consolant. Le 21 juillet 1879, la commission inspectrice de la dette, nommée par les deux chambres, déclarait, dans son rapport, n’avoir pu découvrir où étaient déposés des titres du 3 pour 100 pour une valeur de 2,904,449,500 francs. On se représente l’émotion du public. Trois jours après, 2,500,000,000 francs se retrouvaient à la banque comme garantie subsidiaire des obligations de la banque et du trésor. Quant au reste de la somme, on n’en parlait pas ; il s’est aussi retrouvé depuis. Que s’était-il donc passé ? Le directeur du trésor avait refusé les renseignemens nécessaires. Le ministre avait-il autorisé cette liberté de son subalterne ? Les membres de la commission ne savaient-ils rien eux-mêmes des 2 milliards et demi déposés à la banque en vertu d’une loi récente ? C’est ce que l’on n’a jamais éclairci. A la même époque, la dite commission avait à s’occuper d’une autre affaire non moins curieuse. Quelques factures de coupons présentées avaient été trouvées fausses ; un malheureux créancier de l’état, innocent en sommé, fut aussitôt incarcéré. Mais lorsque la banque d’Espagne présenta aussi des factures contrefaites, le gouverneur ne pouvant être soupçonné, on dut aller aux informations, d’où il résulta que les falsifications se commettaient à la direction même de la dette. Interpellé à la chambre, le 19 juillet 1879, le ministre des finances, dont personne ne met en doute la parfaite honnêteté, répondit par ces mémorables paroles : « Dans un pays où la monnaie, les billets de banque, les documens particuliers même sont falsifiés, il n’est pas étonnant qu’on falsifie les valeurs publiques. »

Le trésor avait dans la vente des biens nationaux provenant de