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tandis que la féodalité d’aujourd’hui se renouvelle sans cesse à une source inépuisable. Sans doute il en coûtera beaucoup de peine pour la détruire, la lutte sera longue, car, devant le péril commun, tous les partis se prêteront une aide mutuelle. Connaissant l’apathie habituelle du peuple et son inexpérience, ils s’attaqueront au roi et essaieront de le renverser ; mais en définitive la victoire est sûre, si le peuple sait, par son étroite adhésion au trône, le rendre plus fort que tous les partis. En effet, c’est là encore un point à considérer, qu’un président de république ne peut faire autrement que d’être affilié à un parti ; le roi, au contraire, n’appartient à aucun. Un autre avantage de la monarchie parlementaire sincèrement pratiquée, c’est, en conservant la succession héréditaire, d’éviter les dangers du pouvoir suprême électif et en même temps d’atténuer jusqu’à les détruire les inconvéniens de l’absence plus ou moins sensible de qualités personnelles chez le souverain. Qu’on interroge l’histoire d’Angleterre, qu’on se rappelle les quatre George et les défauts qui déparaient le caractère de plusieurs de ces monarques. En France ou en Espagne, on les aurait détrônés pour beaucoup moins et un si grand bouleversement aurait produit bien des maux, tandis que la lutte soutenue pour la conservation et l’affermissement des droits du peuple durant ces règnes difficiles n’a fait que consolider l’organisation politique de la Grande-Bretagne,

Le roi d’Espagne, don Alphonse XII, est un tout jeune homme, d’une intelligence remarquable. La conscience d’une grande mission à remplir le mûrirait vite. Par malheur, entre le peuple et lui s’interpose cette monstrueuse excroissance, la ligue des politiques ; il se voit en leurs mains, comme toléré par eux. C’est seulement dans l’affection du peuple qu’il trouvera ce qui lui manque : il n’aura pas de peine à l’obtenir. Personne ne conteste aujourd’hui la prépondérance que, tout en restant constitutionnel, ou, pour mieux dire, à condition de rester parfaitement constitutionnel, le roi acquiert par sa présence constante dans le conseil, tandis que celle de ses ministres souffre nécessairement des alternatives, par sa connaissance non interrompue des antécédens de chaque question, par la stabilité de sa position supérieure et désintéressée qui lui permet de garder le calme et la clarté de son jugement. C’est là une vérité que prouve l’examen des faits journaliers rapportés dans la Vie du prince Albert, publiée avec l’autorisation de la reine d’Angleterre, et d’où il résulte que le roi peut obliger ses conseillers à gouverner conformément aux exigences du bien public. D’autre part, le roi peut faire beaucoup même en dehors de la sphère politique. Sans parler de l’impulsion qu’il lui est facile de donner, aux sciences, aux lettres et aux arts,