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moment perdre de vue la chose principale, les trois parties essentielles du programme. Dès que le pays s’en sera assuré, les réformes financières se feront tout naturellement par la force des choses, et non-seulement celles-là, mais toutes les autres qui doivent rendre à l’Espagne son rang dans le monde. Alors sera possible une politique extérieure que lui défendent aujourd’hui sa pauvreté et son épuisement, politique qui comprend en première ligne le rétablissement de relations fraternelles avec ses anciennes colonies d’Amérique, où son bon exemple serait imité comme l’est aujourd’hui le triste modèle qu’elle donne avec ses insurrections militaires, le despotisme des partis et le mépris habituel de la légalité. En résumé, si les gouvernans de l’Espagne, égarés par de stériles discussions d’école, occupés uniquement à se vaincre les uns les autres et à pousser à bout les conséquences de la victoire, n’ont pas toujours suivi les inspirations du patriotisme, c’est que ce sentiment ne peut vivre où il n’y a pas de patrie, et la nation a pris un tel soin de s’effacer dans sa résignation modeste, qu’on a fini par ne plus savoir qu’elle existe. A elle de le prouver.

Tel est, brièvement résumé, ce livre, le plus sincère peut-être qu’on ait écrit sur l’Espagne et qui nous donne, dans sa forme précise, l’analyse la plus exacte du caractère et des mœurs politiques du peuple voisin. La situation est en ce moment des plus graves : la crise de mars 1879 et la conduite de M. Canovas à cette époque ont laissé la position du roi à découvert ; avec cette situation coïncide un symptôme alarmant, l’atonie complète de l’opinion publique, qui n’a jamais été plus évidente. Bientôt vont commencer les attaques aux institutions existantes. Les précautions prises par M. Canovas pour s’éterniser au pouvoir, qu’il pousse en ce moment jusqu’à rechercher l’alliance des carlistes et qui ont fermé toute perspective aux libéraux dynastiques, en sont la principale cause. Mais ces derniers ne seront pas, comme ils aiment à l’imaginer, exempts de responsabilité : leur devoir ne se borne pas à s’abstenir de l’insurrection, il va jusqu’à la combattre, et ils ne le feront pas, aveugles qu’ils sont, sans vouloir comprendre qu’ils seront balayés eux-mêmes par les fédéraux et les carlistes. Si l’opinion ne s’éveille pas, si elle se laisse surprendre, le pays sera entraîné dans des aventures qui auront des résultats plus déplorables encore que celles de 1868. Du moins l’auteur, M. de Riscal, aura-t-il eu ce mérite d’avoir le premier élevé la voix pour l’avertir.


L. LOUIS-LANDE.