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la Toscane. Et le respect pour les grands noms de l’antiquité n’était pas seulement le privilège de quelques lettrés ou d’une secte monastique, mais bien une religion populaire. On en avait une preuve à Mantoue, où annuellement, de toute antiquité, jusqu’au XVe siècle, on parait de fleurs la statue de Virgile comme l’autel d’une divinité ; à Brindisi, où on montrait la maison du poète à tous les étrangers comme un monument dont on pouvait s’enorgueillir. Dès le XIIIe siècle, Dante, s’adressant au poète des Eglogues et de l’Enéide, le reconnaît comme son maître :

:Tu se’lo mio maestro e lo mio autore.


C’est lui qui l’introduit dans les cercles où l’accueillent Homère, Horace, Ovide et Lucain ; et il évêque tout l’aréopage des philosophes, des poètes et des moralistes de l’antiquité : Socrate, Platon, Démocrite, Diogène, Anaxagore, Thalès, Empédocle, Héraclite, Zénon, Orphée, Cicéron, Tite-Live, Sénèque, Euclide et Ptolémée. L’influence romaine est évidente, le souvenir de Rome pénètre Dante ; il regarde les habitans de la ville éternelle comme des aïeux ; il subit leur joug, ils sont pour lui la source féconde d’où tout découle. « Le peuple romain, dit-il dans ses écrits, est l’aîné de la famille italienne. »

La langue latine, à vrai dire, ne s’était jamais perdue ; tout au plus avait-elle pu se corrompre au contact des barbares. Deux hommes de génie, Pétrarque et Boccace, devaient avoir la préoccupation de restaurer l’étude de la langue grecque ; leurs efforts dans ce sens ont eu une influence considérable. On sait que le premier gardait précieusement, sans pouvoir le lire, un Homère dans le texte original ; il se sentait attiré par ce grand génie, il semblait que ces caractères, dont il ne pouvait pénétrer le sens, jetassent des rayons lumineux qui le fascinaient. À Avignon, il avait rencontré un moine de Seminara en Calabre, envoyé en ambassadeur auprès du pape : Bernard Barlaam, qui devait être un des initiateurs des études grecques en Occident ; c’est de lui que le poète apprit les élémens de la langue d’Homère.

Boccace, plus heureux, pouvait déjà lire l’Iliade en s’aidant de la traduction latine, et en 1360, ayant accueilli chez lui Léon Pilate, élève de Barlaam, le premier de ceux qui ouvrirent une école publique de langue grecque en Italie, l’auteur du Décaméron adressa une instance à la seigneurie de Florence et obtint d’elle l’établissement d’une chaire publique où Pilate expliquerait l’Iliade l’Odyssée, et seize Dialogues de Platon.

C’est une date mémorable ; il faut s’y arrêter ; car tout le secret de la supériorité de Florence dans les arts plastiques vient