Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/814

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hellénique, qui s’était imposée au nom du génie de ceux qui avaient écrit tant d’immortels chefs-d’œuvre, devint bientôt inintelligible en Italie.

L’empire romain se transporte à Constantinople, les barbares envahissent l’Italie et les ténèbres s’épaississent. Cependant, aux bords de l’Adriatique, dans cette ville de Ravenne, dernier refuge de la puissance des empereurs romains, où les avait poursuivis Théodoric, roi des Goths, la littérature grecque avait trouvé un asile momentané, grâce à l’illustration personnelle de ce barbare couronné, qui fut certainement un esprit supérieur à tous ceux qu’il conduisait à la conquête de l’empire romain.

Ce ne fut qu’un éclair ; quelques successeurs de saint Pierre se montrèrent aussi favorables au respect des lettres grecques, et cent ans après Théodoric, on rouvrit des écoles romaines fermées pendant que le fléau se déchaînait sur toute l’Italie ; mais le monde ecclésiastique ne voyait plus dans la langue et la littérature grecques qu’une dangereuse manifestation de la pensée qui suscitait les hérésies en Orient : et la langue latine, la seule qu’on y enseignât, altérée elle-même au contact des idiomes barbares, s’était assez corrompue pour que le culte des lettres latines ne fût plus que le privilège des lettrés.

Au point de vue de l’hellénisme et du latinisme, la nuit est alors complète en Occident ; voyons si l’Orient avait mieux conservé l’admirable patrimoine légué par les aïeux.

Au IVe siècle de notre ère, Constantinople avait vu s’accomplir la séparation avec l’empire d’Occident, et Byzance était devenu le siège des querelles religieuses et des hérésies ; on vit les Grecs imiter la conduite des évêques chrétiens et détruire à leur tour les manuscrits de Ménandre, Diphile, Apollodore, Philémon, Alexis, Sapho, Corinne, Anacréon, Mimnerme, Bion, Alcman et Alcée, dans l’intérêt de la religion. Il leur restait des historiens de talent, quelques commentateurs, des géographes, des médecins ; mais pas un poète dont on puisse dire le nom. La décadence littéraire avait suivi la décadence politique.

Un fléau semblable à celui qui avait consommé la ruine de la civilisation en Occident allait fondre sur les Grecs et achever l’œuvre de destruction. Au VIIe siècle, les Arabes s’emparent de toutes les possessions grecques en Asie et en Afrique ; ils entrent à Alexandrie, et cette invasion amène peu à peu la suppression de la langue grecque, qui ne se maintient que dans la Grèce proprement dite.

Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Ce n’est point le calife Omar qui allait brûler la bibliothèque des Ptolémées ; l’œuvre sinistre avait été accomplie longtemps avant lui par les soldats de César ; et le Serapeum, qui avait échappé au désastre lors