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donné aux Normands de détourner le cours de cette civilisation, plus avancée que la leur, plus élégante, plus raffinée et plus subtile. Il faut reconnaître d’ailleurs qu’ils usèrent avec modération de leur conquête ; ils laissèrent aux paysans de la plaine leur personnalité légale et le droit de propriété, et on vit les deux races exister côte à côte. Ils avaient leurs quartiers, leurs mosquées, leurs bazars et leurs tribunaux ; et quand Frédéric II vint recueillir cette succession, il trouva la civilisation arabe intacte et sans mélange.

Nos troubadours, chassés de France par la croisade des albigeois, peuvent aussi réclamer leur part d’influence, non-seulement sur le génie italien, mais sur le génie florentin. Leur succès fut très vif, et les imitations de leurs ouvrages en sont un témoignage incontestable ; il faudra même un jour, lorsqu’il s’agira de fixer la langue à Florence, en exclure rigoureusement une foule d’expressions provençales mêlées à l’idiome et devenues populaires. On verra successivement trois souverains du midi de l’Italie composer des poésies en langue provençale, et, en se retirant, les troubadours, reconnaissans de l’asile qu’on leur a donné, laisseront aux Italiens le culte de la femme, qu’ils ont professé, et cette tendance aux arguties amoureuses qui, en dégénérant, aboutira aux concetti.

Ce sont là les grands courans d’influence, et les causes diverses d’où découle la renaissance ; en dehors de ces alliages, tout ce qui reste au fond du creuset appartient en propre au génie florentin, tout est le résultat du tempérament national, de la race, des circonstances politiques et de l’état social : tout est un reflet et une expression.

Il faudrait encore, si on voulait sortir des termes généraux, montrer comment peu à peu s’était formée la langue vulgaire, qui fut le véritable véhicule, puisque ce fut une langue adoptée depuis la pointe de Reggio jusqu’au golfe de Venise. Une fois la langue fixée par Dante, Pétrarque, Boccace, Bonacorso Pitti, Francesco da Barberino, Ricordano Malespini, Dino Gompagni, les deux Villani et le chroniqueur Velluti, — les hôtes de Carreggi, réunis autour de Cosme et de Laurent de Médicis, peuvent parler de l’antiquité en employant dans leurs discours la langue nationale, qui sera la langue définitive de l’Italie unifiée.

A la fin du XIIIe siècle, on était mûr pour le développement, mais il manquait encore ce véhicule indispensable à l’idée et à la propagation de la pensée : une langue une, propre à tout exprimer. répondant à tous les besoins de l’esprit humain et à toutes ses formes. On comptait alors, selon Dante, quatorze dialectes nettement caractérisés, écrits ou parlés en deçà et au-delà des Apennins, qui divisaient le pays en quatorze régions intellectuelles. Depuis, Max Muller a porté à vingt le nombre de ces dialectes, en s’appuyant