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Une fièvre d’antiquité s’est emparée des esprits ; ce monde qu’on a retrouvé comme on dégage un monument, des cendres qui le recouvraient fait la loi au monde moderne d’alors ; quand Carlo Malatesta vient à Mantoue pour épouser Elisabeth de Gonzague, le hasard l’y ayant conduit le premier jour des ides d’octobre, on célèbre la fête de Virgile et, prosternés devant sa statue couronnée de fleurs et entourée de cierges qui brûlent en son honneur, les habitans prient avec ferveur comme au pied de la statue d’un saint. Carlo, l’orthodoxe, guerrier fameux doublé d’un théologien, s’indigne, crie à l’idolâtrie et veut qu’on précipite dans le Mincio la statue du poète objet d’un culte sacrilège. Un cri de réprobation s’élève dans toute l’Italie, et plus de cinquante années après, à la lecture du fait imputé au seigneur de Brescia, cette vaillante Isabelle d’Esté, si passionnée pour les lettres et les arts, s’enflamme encore d’indignation et, pour venger le poète de l’Enéide, elle demande au Mantegna le dessin d’un monument en l’honneur de Virgile.

Les plus ardens et les plus farouches sentent frémir en eux le même enthousiasme. Sigismond Malatesta, le grand condottiere, capitaine-général des troupes de la Sérénissime en Morée, rapporte des îles le corps de Gémiste Pléthon, le philosophe grec, comme la plus précieuse dépouille que puisse donner la victoire, et il lui donne une place dans le panthéon de ses aïeux. Tout redevient antique, le geste, la forme et l’esprit. Alphonse d’Aragon le Magnanime fait son entrée à Naples vêtu de la chlamyde, couvert du manteau de pourpre et, couronné du vert laurier, fait passer son quadrige par la brèche faite à la muraille. On fouille avec ardeur les entrailles de la terre en Grèce, dans la, campagne romaine, en Sicile, dans la Grande-Grèce, la Calabre et l’Apulie, Une nuit, près du tombeau de Cécilia Métella, Brunelleschi et Donatello, avides de découvrir les fragmens de statue antique et les camées superbes dont ils vont s’inspirer, sont arrêtés et dénoncés au Vatican comme des chercheurs de trésors, et c’étaient des trésors en effet, ces merveilleux fragmens de statues antiques, source inépuisable d’admiration et des plus pures jouissances de l’esprit humain.

S’il règne une telle ardeur, si l’idée est dans l’air, comme on dit aujourd’hui, elle est certainement une émanation de cette civilisation grecque et latine tout d’un coup rendue aux- Italiens et ressuscitée pour ainsi dire par cette série de circonstances que nous, avons énoncées. Florence est devenue une officine, un immense atelier où on prépare les élémens de l’illustration intellectuelle pour le monde entier. Dès 1400, sur la place du Dôme, il existe un spacciatore, qui fait métier de procurer aux lettrés des manuscrits latins et grecs. L’université est fondée dès 1321, et on correspond avec toutes celles qui existent déjà en Europe : Pise et Florence