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En janvier 1862, Nicolas Alexèiévitch était appelé de Rome à Paris par l’état de santé de son oncle, le comte Kissélef, alors ambassadeur du tsar près la cour des Tuileries. Le comte Kissélef, ancien ministre des domaines sous l’empereur Nicolas, était l’un des premiers hauts fonctionnaires qui se fussent préoccupés d’améliorer le sort des paysans, A cet égard, l’oncle pourrait être regardé comme l’un des précurseurs du neveu. Au commencement de 1862, la Russie et la France inclinaient ostensiblement à un rapprochement qui, sans la fatale insurrection de Pologne l’année suivante, eût pu aboutir à une alliance. Le comte Kissélef avait un grand crédit personnel à Paris et à la cour. Avec un tel garant, Nicolas Alexèiévitch était sûr de voir toutes les portes s’ouvrir devant lui. Selon son expression, « ce n’étaient tous les jours que dîners, bals et réceptions[1], » et il se plaignait à sa femme, qu’il avait laissée à Rome, de cette vie dépensée dans un tourbillon mondain, « qui ne laisse qu’un sentiment de vide et de mécontentement de soi[2]. » Reçu partout avec intérêt et curiosité, dans les cercles officiels comme dans les salons de l’opposition, dans le monde savant comme dans le monde politique, il était accueilli avec une sympathie que les événemens de Pologne devaient peu à peu changer en froideur. On savait et l’on se répétait la part qu’il avait prise à l’émancipation, on l’interrogeait, on le félicitait à ce propos. « Partout, disait-il, les Français, avec la galanterie qui leur est propre, m’abreuvent de complimens pour l’affranchissement des serfs[3]. Nul n’est prophète dans son pays, » ajoutait-il par un retour mélancolique sur la haute société pétersbourgeoise. On peu plus tard, à son second séjour à Paris en 1863, si je ne me trompe, il assistait au dîner mensuel de la Société d’économie politique, et il y décrivait aux Français le mécanisme de l’émancipation dans un discours qui fut remarqué[4].

« Le spectacle que vous allez avoir sous les yeux, lui écrivait de Pétersbourg la grande-duchesse Hélène, est curieux et fait pour intéresser un homme d’état, quelles que puissent être ses convictions. J’espère que vous le compléterez par la connaissance du sphinx lui-même ; il faut absolument que vous le voyiez et que vous me rendiez compte l’été prochain de vos impressions[5]. »

Nous ignorons malheureusement quelle impression Nicolas Alexèiévitch rapporta à son auguste correspondante, et si même il vit

  1. Lettre à Mme Milutine (30 janvier 1862).
  2. Même lettre.
  3. Lettre à Mme Milutine du 10 février 1862.
  4. Voyez le Journal des Économistes, juin 1863.
  5. Lettre de la grande-duchesse Hélène, 14/26 janvier 1862.