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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/902

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refuseraient de subordonner leur action aux convenances d’un seul gouvernement.

Il sembla que ce discours fût le glas de l’empire turc. Les vétérans du parlement s’étonnèrent d’un abandon aussi complet des traditions de la politique anglaise ; ils s’inquiétèrent des conséquences possibles d’une conduite qui ne paraissait pouvoir profiter qu’à la Russie. Les radicaux se montrèrent médiocrement satisfaits du pouvoir arbitraire que le premier ministre se réservait en déclinant l’intervention des chambres. Le public eut peine à comprendre que l’emploi du canon fût le moyen le plus efficace de consolider la paix générale au moment où cette paix paraissait assurée par l’accord des puissances. L’impression produite par la nouvelle, heureusement controuvée, que les habitans de Dulcigno avaient eux-mêmes livré leur ville aux flammes, réveilla les sentimens de générosité et de justice auxquels M. Gladstone avait si souvent fait appel, mais les tourna cette fois contre la politique d’entraînement et de haine qu’il pratique depuis son retour au pouvoir. Il est difficile de croire que cette politique toute personnelle ne sépare pas de M. Gladstone beaucoup de ceux dont les suffrages l’ont ramené au ministère.

La session qui vient de finir a mis au jour les dissentimens qui existent entre les deux grandes fractions de la majorité ministérielle, les libéraux et les radicaux, et cependant aucune question politique d’une sérieuse importance n’a été agitée. La session prochaine, au contraire, amènera nécessairement des débats de la plus haute gravité : l’extension du droit de suffrage en Irlande et probablement une modification aux lois qui régissent la propriété foncière dans cette île, l’abaissement du cens électoral dans les comtés d’Angleterre et sans doute aussi un remaniement des sièges parlementaires comme conséquence de l’enquête à laquelle ont été soumises les élections de huit bourgs d’une certaine importance, enfin le maintien ou la réforme du scrutin secret, source de déceptions pour bien des libéraux, qui devait prendre fin le 31 décembre 1880 et dont l’existence a été, de commun accord, prolongée d’une année, un débat approfondi étant impossible pendant cette session. Qui prévaudra, dans le règlement de ces graves questions, des vues de la fraction radicale ou des vues plus modérées des libéraux ? Les divergences qui existent déjà ne deviendront-elles pas plus profondes et plus irréconciliables ? Les séductions du pouvoir seront-elles assez fortes pour que les uns se résignent à sacrifier leurs convictions ou que les autres se décident à ajourner leurs espérances ? Qui oserait garantir la longévité du cabinet Gladstone ?


CUCHEVAL-CLARIGNY.