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tout de suite cette assertion et d’y aller voir par lui-même n’aura qu’à se procurer la partition de Mefistofele. Le poème étant imprimé à part en tête du volume, rien de plus facile que de se rendre compte du double mérite par lequel l’œuvre se recommande. Du reste, le public de Paris sera probablement appelé à se prononcer bientôt, car on peut supposer que la Patti, lors de sa prochaine visite, voudra se montrer à nous dans ce double personnage de Marguerite et d’Hélène, qui pendant cette saison de Londres, donnait à Christine Nilsson, — la Marguerite des Marguerites, — l’occasion d’un si fier triomphe. Autant dire que Mefistofele est en train de faire son tour d’Europe. Après avoir parcouru toutes les principales scènes d’Italie, ému et passionné la société britannique, l’opéra de M. Boïto s’apprête en ce moment à gagner Vienne par Hambourg : sans rien préjuger de l’accueil que l’Allemagne réserve à Mefistofele, constatons l’originalité de l’initiative prise par un Italien ; n’est-ce pas une chose curieuse de voir cette conception lyrique embrassant les deux Faust se produire au pays du vieux libretto légendaire ? Il y a là un fait à signaler et qui porte plus haut que la question d’art. Aussi longtemps qu’elle vécut sous le joug de l’Autriche, l’Italie se montra invinciblement réfractaire à l’exportation allemande : musique, poésie, philosophie, elle repoussa tout jusqu’au jour ou la nationalité fut reconquise ; mais alors aussitôt les communications intellectuelles se rétablirent, et ce fut un brillant renouveau dans le monde des idées comme dans la politique. On négligea nos écrivains pour ceux du Nord, on traduisit Heine de préférence à Musset, et le vent qui souffle à travers monts apporta lus opéras de Wagner et le wagnérisme. Goethe naturellement eut les honneurs de la fête, son Faust prit place à côté de la Divine Comédie ; les commentateurs arrivèrent en foule suivis d’une jeunesse enthousiaste où figurait Arrigo Boïto, sortant à peine du Conservatoire. Tu sei il mio signore, il mio maestro. Le musicien s’attacha dès cette première heure à son poète, et bientôt, les traductions ne suffisant plus, il apprit l’allemand, but à même la coupe d’ivresse et fit son opéra.

Cette fois, il ne s’agit plus simplement d’un épisode, nous sommes en présence du grand ensemble harmonique. Le prologue dans le ciel se relie aux chœurs mystiques du dénoûment, et nous voyons entre cette exposition et cette fin se dérouler la pensée de Goethe dans son infinie variété : Hélène succédant à Marguerite, l’idéal au réel et l’âme du héros poursuivant son évolution à travers une existence qui se renouvelle. Évidemment, tout ne pouvait être conservé, et l’habileté consistait à négliger les détails trop connus pour s’en tenir aux scènes capitales des deux parties, aux effets drastiques, comme disent les Allemands. Maintenant, qu’une pareille tentative soit le fait d’un Italien, le cas vaut qu’on le remarque, mais ce dont on ne saurait trop