Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/941

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

public d’abord, et non pas seulement aux quelques désœuvrés qui forment dans nos facultés l’auditoire ordinaire. Or est-il vrai, malheureusement, que, depuis quelques années déjà, s’il paraît un ouvrage de quelque valeur, de quelque importance, de quelque nouveauté sur un point de l’histoire de la littérature française, il vient le plus souvent de l’École des chartes, quelquefois encore d’un lycée de Paris ou d’un collège de province, rarement, et quasi jamais d’un professeur chargé de l’enseignement supérieur de la littérature française ?

Et pour ne citer qu’un ou deux exemples entre mille, puisqu’ils penchent tous unanimement du côté de l’érudition, de la philologie, de la critique des textes, quelle part ont-ils prise à la publication de la collection des Grands Écrivains de la France ? ou quelle part encore à ces menus travaux dont la biographie de Molière forme en quelque façon le centre pour l’histoire du théâtre au XVIIe siècle ? Ce n’est pas au hasard que je choisis de tels exemples. Mais c’est qu’il faudrait que nos professeurs de littérature française, quand ils se hasardent à rompre le silence, eussent encore le courage de s’en tenir à l’étude des œuvres et des hommes de la période classique. Voilà leur domaine. Et ils ne devraient pousser leurs excursions dans le moyen âge qu’après avoir épuisé, si tant est que jamais ils l’épuisent, tout ce qu’il reste à faire de travaux sur l’histoire littéraire de notre XVIe de notre XVIIe et de notre XVIIIe siècle. Ne dites pas d’ailleurs qu’il n’y a rien à faire. Avons-nous seulement une histoire de la vie et des ouvrages de J.-J. Rousseau ? avons-nous le texte définitif des sermons de Bossuet ou même le texte critique de la plupart de ses grands ouvrages ? avons-nous un lexique de la langue de Rabelais, d’Amyot ou de Montaigne ? Car il ne faut pas affecter de croire, comme on le fait parfois pour s’assurer dans la discussion un triomphe trop facile, que personne demande à nos professeurs du Collège de France, ou de la Sorbonne, ou de l’École normale, de s’aller perdre pompeusement en généralités banales, vagues et sonores. Mais on demande qu’avant de faire ce que d’autres feront mieux qu’eux, ils s’occupent de faire ce que nul ne semble avoir qualité pour faire, si ce n’est eux. Laissez le moyen âge aux érudits, — élèves, répétiteurs, professeurs de l’École des chartes, — et, sous prétexte de glaner dans leur champ, ne laissez pas en friche votre propre domaine, qui est le XVIe qui est le XVIIe qui est le XVIIIe siècle.

On dit : Et les origines ? et la succession des temps ? et, — pour me servir du mot, tandis qu’il est encore à la mode, — l’évolution des genres ? Je réponds : qu’entre la littérature du moyen âge et la littérature française classique, il n’y a rien de commun,

Et rien, comme on le sait bien.
Veut dire rien,.. ou peu de chose.