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que reste-t-il à faire quand l’économie politique, appuyée sur les faits, démontre que l’aumône engendre l’oisiveté, la mendicité, l’inertie, l’abaissement des caractères et qu’en dernière analyse elle est une iniquité, puisqu’elle est prélevée, d’une façon ou d’une autre, par la rente ou par l’impôt, sur ceux qui travaillent au profit de ceux qui ne travaillent pas ? Montesquieu admet, comme Bourdaloue, que « les richesses particulières n’ont augmenté que parce qu’elles ont ôté à une partie des citoyens le nécessaire physique ; il faut donc qu’il leur soit restitué. » Et comment ? Par les dépenses des riches, que le gouvernement imposera si c’est nécessaire. La solution du grand écrivain politique est pire encore que celle du grand orateur de la chaire. Le vrai remède a été entrevu et poursuivi par la révolution française et par les auteurs de notre code civil, seulement avec trop peu de logique peut-être. Il consiste à appeler à la propriété le plus grand nombre possible de citoyens. Faites que chacun ait une parcelle de terre, une action ou une obligation industrielle, en un mot un petit capital, démocratisez la propriété, et alors, chacun jouissant du produit intégral de son travail, ce luxe inique, que condamne l’économie politique non moins que le christianisme et qui est l’inévitable résultat de l’extrême inégalité, disparaîtra, et si les progrès de la mécanique permettent de multiplier et de raffiner les produits, ils seront mis du moins à la portée de tous. C’est le spectacle que nous offrent déjà les pays où les lois civiles et les usurpations de la féodalité et de la royauté n’ont pas détruit le régime agraire et les formes de la propriété des temps primitifs.

Voltaire, qui a dit, à propos du luxe, beaucoup d’absurdités, comme la plupart des écrivains de son temps, a cependant, à ce sujet, un passage très sensé dans son Dictionnaire philosophique : « Si l’on entend par luxe tout ce qui est au-delà du nécessaire, le luxe est une suite naturelle des progrès de l’espèce humaine, et pour raisonner conséquemment, tout ennemi du luxe doit croire, avec Rousseau, que l’état de bonheur et de vertu pour l’homme est celui, non de sauvage, mais d’orang-outang. On sent qu’il serait absurde de regarder comme un mal des commodités dont tous les hommes jouiraient ; aussi ne donne-t-on, en général, le nom de luxe qu’aux superfluités dont un petit nombre d’individus seulement peuvent jouir. Dans ce sens, le luxe est une suite nécessaire de la propriété, sans laquelle aucune société ne peut subsister, et d’une grande inégalité entre les fortunes, qui est la conséquence, non du droit de propriété, mais des mauvaises lois. Ce sont donc les mauvaises lois qui font naître le luxe, et ce sont les bonnes lois qui peuvent le détruire. Les moralistes doivent adresser leurs sermons aux législateurs, et non aux particuliers, parce