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de Madrid et de Naples le prouvent. « Pourquoi avez-vous voulu tuer le roi ? demande-t-on à Passanante. — Parce qu’il est, répond-il, le chef des spoliateurs du peuple que les contributions réduisent à la misère. Je n’ai aucune haine contre le roi Humbert, qui est bon et dévoué. » Montesquieu pense qu’il faut à la monarchie le luxe et la corruption afin que le peuple ne regrette pas la liberté. Les rois actuels comprennent que le dévoûment à la chose publique et la simplicité de la vie sont les meilleurs titres à l’amour de leur pays. Le roi Humbert, comme son père Victor-Emmanuel, soldat et chasseur, a horreur du faste et de la représentation. Tandis que partout, à Vienne, s’élèvent sur le Ring de superbes palais, l’empereur d’Autriche continue à habiter le vieux burg de ses ancêtres, et il a bien raison de n’en pas vouloir d’autre. Le roi Léopold de Belgique prend sur sa cassette de quoi encourager généreusement les lettres, les arts, l’agriculture et soutenir cette grande œuvre de philanthropie, la civilisation de l’Afrique centrale. Ne reproche-t-on pas sottement à la reine Victoria de donner l’exemple de l’économie ? Le peuple pardonnerait encore moins le luxe, aux hauts dignitaires d’une république qu’aux rois. Il en serait choqué comme d’un scandale, car il y verrait l’ostentation d’un parvenu, dont le superflu serait pris sur son nécessaire. Une pernicieuse idée s’est répandue, c’est que le bonheur consiste dans l’opulence. C’est aux chefs d’un état républicain à montrer que les plus hautes fonctions s’allient avec la plus grande simplicité et qu’elles sont autre chose qu’un moyen de se procurer tous les raffinemens de la sensualité et de l’orgueil.

Montesquieu a eu raison de prétendre que la démocratie exclut le luxe parce qu’elle ne comporte pas l’extrême inégalité. « Si, dit-il, dans un état les richesses sont également partagées, il n’y aura point de luxe, car il n’est fondé que sur les commodités qu’on se donne par le travail des autres. » — « L’histoire, dit très bien M. Courcelle-Seneuil, nous apprend assez que le luxe ne se développe que chez ceux qui acquièrent la richesse sans travail, soit par le jeu, soit par la guerre, soit par l’intrigue. » N’oublions pas que toutes les démocraties antiques ont péri dans les luttes sociales. Le même danger apparaît à nos yeux et éclate parfois en catastrophes effroyables. Éclairés par les faits, nul écrivain n’a mieux compris qu’Aristote le formidable problème que soulève l’établissement d’un régime démocratique. Dans cet admirable livre, la Politique, il montre à la fois le péril et le remède. « L’inégalité, dit-il, est la source de toutes les révolutions. » (Liv. V, ch. I.) « Les hommes, égaux sous un rapport, ont voulu l’être en tout. Egaux en liberté, ils ont voulu l’égalité absolue. Ne l’obtenant pas, on se persuade