Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au printemps de l’année 1862, à la veille même de l’envoi à Varsovie du marquis Wielopolski avec le grand-duc Constantin, on proposait subitement à Nicolas Alexèiévitch, rappelé à la hâte à Pétersbourg, l’administration du royaume de Pologne, qu’on allait se décider à confier au gentilhomme polonais. Avant de faire connaître cette brusque évolution du cabinet impérial, encore ignorée, croyons-nous, de l’histoire, il nous faut revenir un instant en arrière pour montrer quelle était l’opinion de Nicolas Milutine sur les difficultés intérieures de la Russie et en même temps expliquer pour quelles raisons un esprit naturellement aussi résolu et aussi entreprenant laissait voir tant de répugnance à reprendre un service actif.


I

C’était, avons-nous dit, des universités et de la jeunesse que venaient au gouvernement ses premiers ennuis. Dans les gymnases et les (écoles, tenus sous le règne de Nicolas à une sorte de diète ou d’abstinence intellectuelle, sévissait déjà le nihilisme théorique, celui qu’Ivan Tourguenef a personnifié en Bazarof, dans l’une de ces œuvres qui font vivre pour les siècles toute une génération[1]. Milutine croyait que des améliorations dans tout l’enseignement étaient urgentes, qu’il fallait renoncer aux procédés étroits et méticuleux de l’empereur Nicolas, qui traitait les sciences et la littérature en suspectes. Le système en vigueur dans les universités blessait inutilement la jeunesse et ses maîtres avec elle. Les restrictions de toute sorte et les petites vexations imposées sous prétexte de discipline aux étudians les provoquaient à d’imprudentes démarches. A Moscou, à Pétersbourg surtout, ils se permettaient de bruyantes démonstrations, moins dangereuses peut-être que ridicules. Les ministres, effrayés de leur responsabilité durant l’absence de l’empereur, alors à Livadia, déployaient pour la répression une sévérité disproportionnée à la faute. Les manifestations de jeunes gens, protestant contre la gêne des règlemens universitaires, étaient châtiées, presque aussi durement que des conspirations politiques. En 1862, comme plus tard en 1878 et 1879, les rigueurs excessives du pouvoir ne faisaient qu’irriter au lieu d’apaiser. Des proclamations révolutionnaires étaient semées dans les grandes villes et une sinistre épidémie d’incendies, attribués par les uns aux révolutionnaires, par les autres aux Polonais, allait bientôt jeter l’épouvante dans l’empire.

« J’ai peine à penser quel sera notre hiver, mandait à Milutine

  1. Otsy i Diéti (Pères et Enfans).