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« … Sans doute la jeunesse se livre à des fantaisies blâmables et ses prétentions à un rôle politique sont ridicules ; mais on la ramènerait à la raison par un régime sérieux, par des examens sévères qui mettraient l’étude et l’enseignement au premier plan. Ce serait plus utile que d’exiger des certificats et d’envoyer des aides de camp avec des soldats… Des professeurs sensés et raisonnables ramèneraient bien vite les jeunes gens à la soumission. Il ne s’agit pas de faire des phrases creuses de libéralisme banal, mais de leur faire comprendre que la route du progrès n’est possible que sous l’égide de la légalité. »

Ces idées étaient celles de Mutine ; mais en présence de l’espèce d’effarement de la société et d’une partie du gouvernement, il ne se croyait pas en état de les faire prévaloir à pareille heure. Aussi résistait-il à toutes les instances des amis qui l’engageaient à revenir à Pétersbourg, comme à toutes les offres d’emploi, mettant, faute d’autre argument, sa santé en avant pour se donner le droit peu reconnu en Russie de repousser une position officielle.

En face des nouvelles qui lui parvenaient de Russie, devant le désarroi trop visible des esprits, Nicolas Alexèiévitch gardait son sang-froid, ne se laissant troubler ni par les velléités de réaction de ceux qui redoutaient une révolution, ni par les impatiences de ceux qui, sous prétexte de réforme, prétendaient tout bouleverser. De Rome, où il s’initiait à la connaissance de l’antiquité, il traçait, au courant de la plume, à la fin de l’année 1861, un saisissant et vivant tableau de la situation intérieure de son pays, des différentes tendances ou partis qui se le disputaient, tableau qui, à près de vingt ans de distance, reste encore admirable de sens, de vérité et de prévoyance. Il y signalait, en traits d’une actualité trop persistante, ce qui manquait à ce gouvernement, matériellement si fort, — la force morale.


Lettre de N. Milutine au général ***.


«  Rome, 11/23 décembre 1861.

«… Les dernières nouvelles de Russie, à cause même de leur décousu, de leur obscurité, de leur manque de précision, ne pouvaient pas ne point troubler la parfaite quiétude d’esprit dont sans cela je jouirais ici avec une telle plénitude et un tel calme. La fermentation chez vous est violente, plus violente qu’on n’aurait dû s’y attendre ; mais, je le confesse, je ne vois encore de danger nulle part, si ce n’est dans l’inintelligence des hommes au pouvoir. Les velléités d’agitation révolutionnaire seraient tout bonnement ridicules si