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mobiles différens. Ce prince, à l’esprit large et libéral, ne voulait pas désespérer encore de la réconciliation de la Pologne avec la Russie ; il persistait à soutenir qu’à Varsovie, il fallait non un Russe, mais un Polonais. C’est ce qu’apprenait Milutine, en descendant du chemin de fer, par un billet du ministre de l’instruction publique, qui, quelques jours plus tôt, l’engageait à accepter la direction des affaires polonaises.


Lettre de M. G. à N. Milutine,

« Saint-Pétersbourg, 11 mai 1862.

« J’ai appris tout à l’heure votre arrivée, très honoré Nicolas Alexèiévitch, et je serais accouru immédiatement chez vous si malheureusement toute ma matinée n’était prise. Je tâcherai de vous rencontrer vers cinq heures chez Dmitri Alexèiévitch[1]. J’ai à vous transmettre la communication suivante : Le grand-duc Constantin Nikolaiévitch vous conseille beaucoup de refuser catégoriquement le poste de Pologne, et cela surtout parce que, dans sa conviction, il faut à cette place un Polonais et non un Russe. Pour moi, je ne connais pas la Pologne, je ne participe pas ici aux délibérations sur les affaires polonaises, et, par conséquent, je ne puis personnellement prendre cet avis à mon propre compte. En outre, j’ai une si haute opinion des talens dont vous a gratifié la nature, que je ne saurais vous conseiller de refuser une fonction uniquement parce qu’elle est pleine de difficultés. Le grand-duc se propose de demander dès maintenant votre nomination comme membre du conseil de l’empire avec un congé pour le printemps. »

À son arrivée à Saint-Pétersbourg, Milutine trouva, en effet, dans les hautes sphères une hésitation dont, malgré certains conseils, il tira parti pour refuser la tâche ingrate qu’il redoutait si justement. Le changement survenu dans les dispositions du pouvoir était tel que lorsqu’il fut reçu en audience par l’empereur, qui l’accueillit avec une bienveillante bonté, Nicolas Alexèiévitch n’eut pas de peine à décliner un poste qu’on était déjà résolu à confier à un autre.

Durant cet inutile voyage de 600 lieues, les vues du grand-duc Constantin avaient regagné du terrain. Le refus de Milutine contribua à leur triomphe définitif. Au lieu d’un fonctionnaire

  1. Le soir du même jour, en effet, Nicolas Alexèiévitch écrivait à sa famille demeurée à Rome : « J’ai passé aujourd’hui la matinée au palais Michel (demeure de la grande-duchesse Hélène), où j’ai été accueilli avec la cordialité et la bonté habituelles. J’ai dîné chez Dmitri avec G., Reutern, etc. » (Lettre à sa femme du 11/23 mai 1862.)