Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop naïf. Tout cela ne se comprend que si vous voulez gagner du temps ; ni les cajoleries, ni la dialectique ne peuvent dénouer la question.

« L’opinion publique de l’Europe nous est hostile, c’est un fait. Ce sont des antipathies vagues et confuses, mais toutes, il faut le reconnaître, dirigées contre l’absolutisme. Plus je vis ici et plus je m’en assure. Les préventions contre nous atteignent l’invraisemblable et elles sont enracinées si profondément qu’il faudrait beaucoup d’efforts, des efforts prolongés et constans pour les déraciner, même de l’esprit des gens modérés, tels qu’il y en a partout. Il s’est fait, et il se fait encore chez nous bien des choses qui pourraient y contribuer, mais l’Europe, mais la France en particulier ne les connait pas ; et ce qui se fait chez nous, nous ne savons même point l’entourer de formes intelligibles pour l’étranger, témoin l’amnistie donnée mal à propos, témoin l’abolition des peines corporelles faite à la façon d’un jugement dernier à huis-clos, etc.[1] ; mais je me laisse involontairement entraîner en dehors du cercle diplomatique.

« Dans les affaires actuelles, il y a deux catégories de mesures qui chez nous s’embrouillent visiblement dans les esprits, quoique la logique exige leur séparation : ce sont les mesures radicales et les mesures palliatives. Sur les premières il faudrait s’étendre en dehors du cadre d’une lettre écrite à la hâte ; le temps et la place ne me le permettent pas. J’en viens donc aux secondes. Le résultat des dernières explications avec Napoléon a été sa proposition d’ouvrir une conférence. Il est douteux qu’il en sorte rien, mais cela est toujours moins sérieux que le congrès dont rêve le prince ***. Il en a écrit à Budberg. C’est là une sorte d’aveuglement. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas (même de notre plein gré) paraître en qualité d’accusé devant toute l’Europe assemblée, qui vient de nous montrer avec tant d’unanimité sa malveillance dans la question polonaise. De quels sophismes peut-on appuyer une idée aussi biscornue (rogatouiou) ? ..

«  Quoi qu’il en soit, le palliatif le plus efficace serait aujourd’hui une action militaire énergique en Pologne et en Lithuanie. Je ne saurais te dire quelle triste impression produisent ici toutes ces infructueuses escarmouches avec des bandes mal armées de prêtres (popof), d’adolescens (maltchikof) et d’un ramassis (sbroda) de gens de toute sorte. Si cela dure encore longtemps, aucune diplomatie, aucune mesure libérale ne nous serviront.

  1. Allusion à un mot d’un écrivain russe qui, en entendant raconter vers 1860 les doléances du chef de la ms section, prince B. D., à propos de la trop grande publicité donnée aux travaux préparatoires de l’émancipation des serfs, s’était écrié : « Ne voudrait-il pas que le jugement dernier se passât aussi à huis-clos ?  »