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chirurgien de la société de secours aux blessés militaires en 1870, grâce à des lits que je fis construire avec de simples planches, sur le modèle de ceux que j’avais vu employer par les Prussiens en 1864, lorsque je visitai leurs ambulances du Schleswig avec mon confrère et ami M. le député Liouville, je pus, dès les premières batailles autour de Metz, dresser et aménager en quelques heures un petit hôpital de plus de cent lits. Depuis douze ans, j’ai hospitalisé chaque année, pendant six mois, sous des tentes d’ambulance, les blessés de mon service de l’hôpital Cochin et depuis 1873 de l’hôpital Beaujon, jamais un représentant de l’administration de la guerre n’a eu la curiosité, qui eût été pour lui un devoir, de venir s’enquérir sur place des avantages ou des inconvéniens de ce mode d’hospitalisation spécialement destiné aux blessés militaires. La chirurgie militaire française étant privée des moyens d’hospitalisation temporaire que possèdent les années étrangères, le transport des blessés s’impose à elle comme une nécessité, et ses moyens de transport eux-mêmes sont des plus défectueux. Or il est des opérations, telles que les résections des os et des articulations, qui permettent de guérir un blessé tout en lui conservant son membre ; mais elles ne sont praticables qu’à la condition de pouvoir conserver dans une complète immobilisation le membre opéré. Pendant la guerre de sécession, pendant les guerres de 1866 et de 1870, pendant la guerre de Turquie, les chirurgiens américains, allemands, autrichiens et russes ont pratiqué un grand nombre de résections au grand bénéfice de leurs malades ; le chirurgien français ne peut guère, en campagne, avoir recours à cette chirurgie conservatrice qu’il pratique en temps de paix, et s’il veut avoir quelque chance de sauver son blessé, il est obligé de le mutiler et de lui imposer l’amputation.

Comme il est facile de le deviner, un blessé qui est resté longtemps sur le champ de bataille sans être relevé, qui ne peut être par conséquent pansé ou opéré que fort tardivement, qui subit de longs transports par d’abominables moyens, qui n’a qu’un peu de paille comme lit, qui ne reçoit)qu’une, nourriture insuffisante et qui ne peut même toujours être pansé convenablement, parce que le médecin, par la faute de l’intendance, manque des appareils et des objets de pansement nécessaires, ce blessé a peu de chance d’échapper à la mort. Aussi malgré la valeur scientifique de nos médecins, malgré leur zèle, malgré leur dévoûment, la mortalité de nos blessés a toujours été beaucoup plus élevée qu’elle ne l’est dans les armées étrangères.

L’armée française en Crimée a perdu le chiffre énorme de 72 pour 100 de ses opérés, c’est-à-dire que, sur 100 opérés, il n’en