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ou de déraisonner, celle des changemens qu’il convient d’apporter dans l’éducation des femmes et dans le sort que leur fait la société est la plus propre à exciter la verve des amateurs de controverses. Il faut que les partisans résolue du statu quo social en prennent leur parti, il y a une question des femmes. Elle est posée, elle est ouverte et débattue dans toute l’Europe aussi bien que dans le Nouveau-Monde, et il serait étrange qu’il en fût autrement. Comme l’a remarqué un éminent penseur, Stuart Mill, qui voulait beaucoup de bien au sexe faible et qui avait de bonnes raisons pour cela, « le caractère particulier du monde moderne est que l’homme ne naît plus à la place qu’il occupera dans la vie, qu’il n’y est plus enchaîné par un lien indissoluble, mais qu’il est libre d’employer ses facultés et les chances favorables qu’il peut rencontrer à se procurer le sort qui lui semble le plus désirable. » Jadis la société était constituée sur d’autres principes. Les traditions et les habitudes avaient une autorité presque sacrée. La naissance assignait à chacun la place qu’il devait occuper toute sa vie, et s’il était disposé à en sortir, la loi l’y retenait, elle le condamnait à l’immobilité. Pour appeler avec succès de cette sentence, il fallait au condamné des hasards propices ou une trempe exceptionnelle de la volonté. La révolution est venue, elle a changé tout cela. Elle a supprimé les incapacités légales qui limitaient et entravaient les petits dans le choix d’une profession ; elle a mobilisé les volontés, les vies et les destinées, elle a autorisé chacun à se faire lui-même sa place dans le monde, à ses risques et périls, à la sueur de son front.

Les femmes seules ont été exclues de ce bénéfice, et cette anomalie les chagrine ou les indigne. Elles ne peuvent pardonner à la révolution de n’avoir proclamé que les droits de l’homme. Comme l’antiquité grecque et romaine, comme la société féodale ou monarchique, la démocratie moderne leur a dit jusqu’aujourd’hui : « Votre vraie vocation est de faire des enfans, car il est nécessaire qu’il y en ait, et vous seules pouvez les faire. Tâchez d’y trouver votre plaisir. » Les femmes se plaignent qu’on raisonne avec elles comme les planteurs de la Caroline du Sud raisonnaient avec les nègres, lorsqu’ils leur disaient : « Il est nécessaire de cultiver le sucre et le coton ; or les blancs ne le peuvent pas, et si on vous laissait libres, vous ne le voudriez pas ; donc il faut absolument que vous restiez esclaves. » — « Si le nouveau principe sur lequel repose notre société est vrai, remarque à ce sujet Stuart Mill, nous devons agir en conséquence et ne pas décréter que le fait d’être né fille et non garçon doive plus décider de la destinée d’un être humain que le fait d’être noir et non blanc. À l’heure qu’il est, dans les pays les plus avancés, les interdictions légales dont la femme est frappée sont Punique exemple d’un désavantage ou d’un empêchement attaché à la naissance. »