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de devenir quelque chose dans l’art, dans la science ou dans la philanthropie. Qui aura le cœur de les en blâmer ? À vrai dire, le type de la jeune fille qui fréquente les universités pour y étudier la médecine opératoire ou la procédure civile a été mal recommandé à la faveur du monde par les premiers échantillons qu’il en a vus. L’étudiante russe, plus ou moins nihiliste, avec ses cheveux courts et ses lunettes bleues, s’est acquis une réputation aussi douteuse que la propreté de son col et de ses manchettes. D’autres, qui n’étaient pas nihilistes, ont promené à Zurich et ailleurs leurs curiosités équivoques et le laisser-aller de leurs mœurs. Quelques-unes, tout à fait honnêtes et recommandables, étudiaient en conscience ; la plupart couraient après le fruit défendu, et celles qui, leurs études terminées, ont fourni une carrière utile à la société ne font pas légion. Toutefois cette semence a levé, et tous les pays, à l’exception peut-être de l’Allemagne, ont aujourd’hui leurs étudiantes plus ou moins sérieuses. Dans un livre plein d’intérêt et de renseignemens qu’il a publié naguère sur l’Italie, M. Emile de Laveleye nous apprend qu’en 1878 neuf jeunes filles étaient inscrites aux cours des diverses universités de la Péninsule, trois à Turin, deux à Rome, deux à Bologne, une à Naples et une à Padoue. Il tenait de la bouche même d’un recteur que leur présence dans les amphithéâtres ne donnait lieu à aucune objection, qu’elles se faisaient respecter pendant les leçons comme après, que d’ailleurs, avant d’être admises, elles avaient subi, comme les autres étudians, toutes les épreuves préliminaires et conquis la licence lycéale[1]. Le savant économiste a raison de nous rappeler à ce propos que certaines nouveautés sont plus vieilles qu’on ne pense, et que Bologne compta autrefois parmi ses professeurs les plus illustres « Clotilde Tambroni, qui enseignait le grec, Laura Bassi, la physique, et Marie Agneti, les mathématiques. »

Croirons-nous que la défaveur qui s’attache encore aux femmes en quête de grades universitaires s’affaiblira par degrés, que les hommes finiront par leur ouvrir de bonne grâce les carrières dont elles cherchent à forcer l’entrée ? Certains précédens sembleraient en faire foi. Beaucoup de femmes occupent depuis peu des places et des emplois dans l’administration des postes, des télégraphes, des chemins de fer ; on ne songe plus à leur disputer cette conquête. La France est en ceci moins routinière que d’autres nations. Paris est à la fois l’endroit du monde où les jeunes filles ont le moins de liberté et où les femmes ont le plus de part aux occupations et aux affaires que les hommes ont coutume de se réserver. Que de comptables exacts, diligens, expéditifs, le sexe faible ne fournit-il pas au grand et au petit commerce parisiens ! Nous croyons savoir qu’une princesse qui sera un jour

  1. Lettres d’Italie, par M. Emile de Laveleye ; Bruxelles, 1880.