comme presque tous les pays, plus que d’autres pays, elle a ses difficultés qui naissent de l’absence d’une forte direction, de la division ou de la désorganisation des partis, des confusions parlementaires, et c’est ce qui rend plus sensible encore peut-être la disparition successive des hommes qui ont aidé l’Italie à naître, à se constituer sous sa forme nouvelle il y a vingt ans. De tous ceux qui ont présidé à cette légendaire transformation, en effet, il n’en reste plus beaucoup ; ils sont presque tous morts, roi, ministres, politiques, soldats. Un des derniers de ces grands Italiens de 1860 était le baron Bettino Ricasoli, qui vient de s’éteindre à soixante-douze ans dans son château de Brolio, près de Sienne. Celui-là était certes une des figures les plus fières et les plus originales des révolutions d’où est sortie l’Italie nouvelle. Il était resté imposant et respecté dans l’indépendance sévère et silencieuse où il aimait à se renfermer sans nulle affectation vulgaire.
Vieux Toscan de race, patriote d’âme et d’esprit, alliant dans sa nature patricienne l’instinct gibelin au libéralisme de l’homme moderne, le baron Bettino Ricasoli n’a paru que par instans dans la politique. Il avait été un des chefs du parti libéral en 1848 ; mais il était bientôt rentré dans la retraite, dévorant l’amertume de voir tout compromis par des démagogues, et le grand-duc restauré par les Autrichiens. C’est surtout en 1859, aux premiers mois de 1860, après Villafranca, qu’il prenait un rôle décisif. Plus que tout autre peut-être, il a eu le sort de l’Italie en ses mains, à ce moment où les événemens le faisaient dictateur à Florence, où tout dépendait d’un faux mouvement entre l’Autriche et la France. C’est par le baron Ricasoli, aidé de ses amis, que l’annexion de la Toscane, des duchés au Piémont s’accomplissait en dépit de tous les obstacles intérieurs ou diplomatiques. Impassible au milieu des négociations nouées autour de lui, inflexible contre les fauteurs d’agitations révolutionnaires aussi bien que contre ceux qui cherchaient à fonder, un royaume de l’Italie centrale, dominant par le seul ascendant de son caractère, de son désintéressement et de son énergie, la population florentine, il marchait silencieusement à son but : la constitution d’un « royaume fort » en face de l’Autriche, que le traité de Villafranca laissait à Venise. Sans lui l’unité de l’Italie ne se serait pas réalisée de si tôt, parce que si un royaume central eût été dès lors constitué, l’annexion du Midi devenait à peu près impossible ; l’expédition de Sicile et de Naples n’eût été qu’une aventure où les événemens auraient pris un autre cours. Ricasoli a eu une action décisive dans une autre circonstance : c’est ce jour de 1861, où, gonflé de la conquête de Naples, Garibaldi, avec ses allures de tribun soldatesque, menaçait le roi, le parlement de Turin, surtout Cavour, et pouvait encore une fois tout mettre en doute. Ce jour-là Ricasoli, se levant dans la chambre au milieu de l’émotion universelle, faisait plier sous son accent impérieux