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qu’il avait à traiter les affaires assez délicates qui relevaient de son ambassade. En effet, la situation du représentant du gouvernement français en Suisse n’était pas alors sans quelques difficultés. Elle était particulièrement incommode pour M. Lanfrey. Connu pour libre penseur et bientôt lié avec M. Cérésole, qui appartenait lui-même au parti avancé, il avait été d’avance considéré par les radicaux du pays comme disposé à favoriser la campagne que, sous prétexte de réforme, ils étaient en train de mener dans quelques cantons contre le clergé catholique et contre les congrégations. Ce fut juste le contraire qui arriva. Ceux qui liront la correspondance de Lanfrey seront à même de constater, mais sans surprise de la part de ceux qui auront connu tant soit peu les deux hommes, que d’après les instructions de M. de Rémusat, le très libéral ministre des affaires étrangères à cette époque, et pendant toute la présidence de M. Thiers, le représentant de notre pays, sans jamais s’immiscer dans les querelles intérieures des partis en Suisse, et toutes les fois que les intérêts de nos nationaux y étaient engagés, n’a jamais déserté, fût-ce pour un instant, la cause de la liberté religieuse. Les actes d’intolérance qui pendant les années 1872 et 1873, s’accomplissent sous ses yeux, particulièrement à Genève, ne le laissent point indifférent. Dans ses dépêches, dans ses conversations, dans ses lettres particulières, il ne cache pas l’étonnement qu’il éprouve en s’apercevant qu’en Suisse, beaucoup d’honnêtes esprits « en sont encore à ne pas comprendre que ce qui est en jeu dans les conflits confessionnels, ce n’est nullement l’ultramontanisme, mais la liberté de conscience. » Avec une sagacité qui lui fait honneur, et comme s’il prévoyait ce qui devait advenir un jour dans son propre pays, il signale nettement la tendance à s’ingérer dans les affaires religieuses, comme « un écueil pour les démocraties. »

Lorsque M. Thiers quitta la présidence de la république, Lanfrey donna sa démission, mais les ministres du 24 mai ne voulurent point l’accepter. Sachant que le duc de Broglie avait beaucoup insisté pour que notre ambassadeur continuât ses fonctions, le président de la Confédération se hâta d’écrire à son ministre à Paris, et M. Kern fut chargé de demander le maintien de M. Lanfrey à Berne.


… Le conseil fédéral verrait dans ce fait une nouvelle preuve du ton vouloir que le gouvernement français a déjà exprimé à la Suisse, et les excellens rapports qui ont existé jusqu’à ce jour entre les deux gouvernemens ne pourraient que s’en ressentir de la façon la plus avantageuse.