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vont et qui se sont placés sous la direction du pire, casse-cou qu’il y ait eu de nos jours.


Ces sombres prévisions n’ont d’ailleurs été dictées à Lanfrey par aucune souffrance d’amour-propre. Peu de jours auparavant, il avait été nommé sénateur inamovible par l’assemblée constituante sans avoir « remué pour cela le petit bout du doigt, » ainsi qu’il prend plaisir à le constater :


Quant à moi, je suis l’homme de France qui s’occupe le moins de cette question (l’élection des sénateurs inamovibles). Je n’ai de ma vie demandé quoi que ce soit à qui que ce soit. Si l’on veut de moi, ou sait où me trouver. Sinon, je m’en moque. J’ai là-dessus une forte dose de philosophie et je ne m’en suis jamais mal trouvé.


Lanfrey ne dit que la stricte vérité quand il parle de sa constante répugnance à paraître seulement rechercher les situations qui auraient pu être l’objet très naturel de sa plus légitime ambition. Il avait poussé le scrupule jusqu’à ne pas se rendre de sa personne dans le département des Bouches-du-Rhône pendant toute. la durée de son mandat législatif, de peur qu’on ne lui attribuât l’intention d’en vouloir solliciter le renouvellement ou de briguer un siège de sénateur. « Maintenant que je ne puis être suspect d’aller quémander un siège législatif aux. radicaux de Marseille, écrit-il à un ami, je me dispose à aller faire ma première visite à la Canebière pour remercier mes anciens électeurs. » Pendant les quelques jours qu’il passe au milieu d’eux, afin de prendre part aux élections sénatoriales, il se montre « très heureux de constater que les hommes qui lui ont fait l’honneur de patronner naguère sa candidature sont tous très modérés d’opinion et n’ont rien de commun avec la radicaille de cette ville, » A Chambéry, qu’il avait traversé en se rendant en Italie, il avait eu le plaisir de trouver tout le monde bien disposé pour lui. « J’ai passé ici dix jours sans impression mauvaise. C’est la première fois que cela m’arrive depuis 1870. Les amis que vous me connaissez sont de dignes gens incapables de changement Mes anciens ennemis les radicaux me tirent des coups de chapeau jusqu’à terre, Vous ne pouvez vous faire une idée de cela, et je ne saurais dire toutes les avances qu’ils m’ont faites. »

Pendant la session de 1876, Lanfrey fréquenta de plus en plus assidûment M. Thiers. L’ancien président de la république était de ceux qui lui avaient conseillé de garder son poste d’ambassadeur ; cependant il lui avait su plutôt gré d’avoir tenu à donner sa démission, Lanfrey fut, à partir de cette époque, invité à venir dans la