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avez le cœur grand. Quel dommage que nous soyons nés à quatre cents ans de distance l’un de l’autre ! Adieu, bien cher ami.


« … Vous avez raison de croire, madame, écrivait après la catastrophe M. Costa de Beauregard à la personne qui avait fermé les yeux à son ami mourant, oui, vous avez bien raison de croire que j’ai beaucoup aimé M. Lanfrey. Notre amitié avait cela de particulier qu’elle était à l’abri de toutes les vicissitudes, car nous ne nous entendions presque sur rien, et depuis que j’ai eu le chagrin de le perdre, je me demande souvent, quoique cela semble étrange, si par hasard il n’y aurait d’amitiés véritablement sincères qu’entre des adversaires politiques. »

Amis et adversaires politiques accoururent en foule de tous les environs aux funérailles de Lanfrey. Son corps fut provisoirement déposé dans la crypte de l’église Saint-Jacques, à Pau. Quelque temps après, il était transporté, suivi d’un cortège d’amis plus intimes, jusqu’au petit cimetière de Billière, où, par respect pour la volonté du mourant, aucun discours ne fut prononcé. Un modeste monument a été élevé sur l’emplacement désigné par lui-même, lorsqu’un jour il avait dit en souriant aux personnes qui l’accompagnaient dans une de ses promenades : « Si je meurs, voici où je veux être enterré. » Placé sur un joli mamelon en face d’un magnifique rideau de hautes montagnes, l’endroit lui avait rappelé sans doute les sites aimés de sa jeunesse.

C’est au sein de cette paisible nature et loin de son pays natal que repose l’homme un peu trop oublié aujourd’hui dont le duc d’Audiffret-Pasquier, parlant au nom du Sénat, a pu dire « que tous les partis l’avaient respecté et que tous ses collègues l’avaient aimé, parce qu’un même sentiment avait dicté ses écrits et dominé sa carrière politique : l’amour du pays et de ses libertés. »


Cte D’HAUSSONVILLE.