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places avait fait en Sicile et, par contre-coup, en Grèce, d’incontestables progrès.

De Sidon à Tyr on compte environ sept lieues. Tyr était située dans une plaine bornée, d’un côté par la mer, de l’autre par l’ Anti-Liban. Les anciens ont représenté cette ville sous la forme d’une jeune fille portée par les flots. Les pieds touchent le rivage ; la tête et les bras s’étendent sur la mer. Les débris qui nous restent répondent encore à la gracieuse image. Sur une péninsule triangulaire qui se détache de la côte, s’élevait la cité continentale, — la vieille Tyr ; — sur les deux îlots qu’Hiram, au XIe siècle avant notre ère, réunit par une chaussée, était bâtie la ville maritime, qui embrassa dès lors l’emplacement consacré au culte de Melkarth. L’écroulement des grands empires est généralement un soulagement pour les petits états ; Tyr se serait peut-être difficilement relevée de sa ruine, si la domination des Perses n’eût succédé à celle des Chaldéens. Cyrus fut pour la communauté marchande qu’avait asservie Nabuchodonosor un libérateur suscité par la Providence. La constitution autonome qu’elle conservait au temps d’Alexandre, Tyr la devait au petit-fils d’Astyage. Tyr demeurait, il est vrai, vassale, mais on sait quel relâchement les troubles et la faiblesse de l’empire avaient peu à peu apporté dans ce lien. Avec un contingent de vaisseaux, et probablement aussi avec un tribut, toutes les obligations de la cité phénicienne envers le monarque qui la couvrait en retour de sa protection se trouvaient remplies.


II

Quand les troupes d’Alexandre, venant de Sidon, débouchèrent dans la plaine, la vieille ville, la ville du continent, était abandonnée ; la ville maritime elle-même ne renfermait plus que la population valide. Les femmes, les enfans, les vieillards, avaient été transportés à Carthage. Défendue par une garnison de 30,000 hommes, séparée de la terre ferme par un canal de 800 mètres, Tyr avait bien sujet de se croire en état d’opposer à, l’ennemi une longue résistance. Si le siège se prolongeait, la situation des assiégeans deviendrait critique ; la Grèce dans l’intervalle se pouvait soulever, et la flotte d’Autophradatès aurait une merveilleuse occasion d’accourir. Alexandre reconnut la nécessité de pousser les travaux d’approche avec une extrême vigueur. Sa première pensée fut de jeter la vieille ville dans le canal pour le combler. Les Tyriens virent, avec autant d’étonnement que d’effroi, s’avancer vers leur île une digue dont le talus ne présentait pas au sommet moins de 60 mètres de large. Tous les habitans des villes voisines, appelés sur les lieux, concouraient, de gré ou de force, à ce travail.