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rappelez-vous ce roi qui commandait aux côtés de Cratère ? — les vaisseaux d’Androclès, de Pasicrate, sont coulés au premier choc ; le reste, poussé à la côte, se défend de son mieux, mais n’en paraît pas moins destiné à joncher de ses débris le rivage.

Où était Alexandre pendant cette alerte ? Les Tyriens le croyaient sous sa tente ; la sieste du roi, aussi bien que le repas des matelots, entrait dans leurs calculs. Le hasard voulut qu’Alexandre, ce jour-là, sortît de sa tente plus tôt que de coutume. Il aperçoit les galères tyriennes, au moment même où ces galères débouchaient de l’entrée du port intérieur. Le port égyptien va-t-il vomir une seconde flotte de sa darse ? Si cette nouvelle sortie vient appuyer l’autre, la mer peut, en quelques heures, retomber au pouvoir des Tyriens. Telle est la première pensée d’Alexandre : il court à ses vaisseaux. Ceux qui se rencontrent sous sa main, équipés au complet ou à demi-armés, il les expédie à la bouche de la darse égyptienne. Avant tout il importe de garder l’entrée de ce port, de ne pas laisser s’en échapper un navire. L’ordre est rapidement exécuté. Dès qu’Alexandre se sent assuré sur ses derrières, il se porte avec le reste de la flotte, quinquérèmes et trières, du côté où le combat rugit. Il a comblé le bras de mer qui lui eût offert, vers la plage sur laquelle les vaisseaux de Chypre sont échoués, un prompt et facile chemin ; il lui faut, pour venir au secours de ses bâtimens assaillis, prendre la route du large et faire le tour de l’île. Les combattans ne soupçonnent pas encore ce mouvement ; les assiégés, du haut de leurs remparts, l’aperçoivent. Les vaisseaux compromis peuvent encore être sauvés ; il leur reste le temps d’opérer leur retraite. Comment les avertir ? Est-il quelque clameur qui puisse être assez forte pour dominer le tumulte de la mêlée ? Des signaux ! se trouvera4-il, parmi tous ces champions acharnés à leur tâche, un seul soldat qui porte ses regards en arrière ? Tous les bras sur les murailles s’agitent et tous les cœurs se serrent ; l’émotion croît de minute en minute, car les vaisseaux d’Alexandre dévorent la distance. Vit-on jamais spectacle plus navrant ? Une escadre qui portait dans ses flancs le salut de la ville va être détruite, faute d’un simple avis qui lui parvienne. Eh ! quoi, n’entendez-vous pas ce long hurlement de douleur, ces cris de femmes et d’enfans, cet appel désespéré de la cité qui se sent mourir ? Il est maintenant trop tard : quand bien même l’avertissement qu’un peuple entier vous envoie arriverait jusqu’à vous, la fuite ne vous sauverait plus de l’épée d’Alexandre. La flotte vengeresse déborde en ce moment de l’extrémité de l’îlot qui vous a dérobé son approche. En arrière ! en arrière ! si vous tenez à la vie. Des chacals, surpris par un lion ne se disperseraient pas avec plus d’épouvante ; c’est