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parvenant néanmoins, bien que fusillés du haut des merlons, à gravir une escarpe aussi raide qu’un mur, pour aller tomber, de l’autre côté du parapet, sur une double haie de baïonnettes ! La tour Malakof a été surprise ; le bastion central a été envahi quand l’ennemi était sur ses gardes. Beaucoup ont péri en route, un plus grand nombre est resté au fond du fossé, quelques-uns ont trouvé la mort là où c’était déjà une surprenante victoire d’avoir pu arriver. J’ai eu entre les mains une lettre du chef d’état-major de l’armée russe, de l’adjudant général Kotzebue : après avoir pris la peine de faire rechercher dans les hôpitaux un prisonnier dont le sort m’intéressait vivement, le général m’annonçait, avec une émotion dont je lui sais encore gré, de quelle façon ce jeune et vaillant soldat avait perdu la vie. On se rappelait l’avoir vu pénétrer dans le bastion central, y lutter corps à corps, se débattre au milieu des ennemis qui voulaient le saisir et succomber enfin, atteint en pleine poitrine d’un coup de baïonnette. Arrien et Quinte-Curce peuvent maintenant se donner carrière, nous ne suspecterons plus la véracité de leurs récits. Les soldats qui nous rendirent témoins de pareilles prouesses nous ont ôté le droit de nous montrer incrédules en fait d’héroïsme.

Nous avons laissé les vaisseaux macédoniens maîtres des deux ports. Ceux qui ont pénétré dans le port intérieur ne perdent pas de temps ; les échelles sont à l’instant dressées contre le mur, et un flot de soldats se déverse tout à coup de ce côté dans la ville. A l’autre extrémité, la lutte était des plus vives ; Alexandre avait à combattre la majeure partie et probablement la partie la plus énergique de la garnison. En dépit du grand effondrement qui s’était produit, la brèche présentait encore un talus’ difficile à gravir. Admète est monté le premier sur les décombres ; tenu en échec par les nombreux ennemis qui se sont précipités à sa rencontre, il appelle ses soldats, les exhorte à le suivre ; un coup de pique le renverse, mortellement atteint, aux pieds de ses compagnons. À cette vue, la colonne hésite ; Alexandre se précipite à la tête des hétaïres. Ceux-là ne reculeront pas. En quelques bonds le héros a gagné le haut de la brèche. Ce sera déjà beaucoup de s’y maintenir. La brèche de Tyr, c’est la brèche de Saragosse ; les assiégés y combattent pour la vie. Indifférens aux traits qui les menacent, les hétaïres ne songent qu’à couvrir le roi de leurs boucliers. Comment couvrir un homme qui attaque toujours ? Le dieu Mars en personne ne porterait pas des coups plus terribles. Les ennemis, à son intrépidité plus encore qu’à ses armes, ont reconnu Alexandre ; ils n’en veulent qu’à lui, ne pressent que lui seul : la mort d’Alexandre, — tous le savent, — serait le salut de Tyr. Fondez donc sur le roi ! accablez-le de vos traits, essayez de le terrasser ! mais malheur