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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/466

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une déroute étourdissante, un gigantesque charivari, et ce n’est pas l’unique fois.

— Quel dommage que les Italiens aient si complètement abandonné l’opéra bouffe !

— Dites les Napolitains ; car eux surtout étaient nés pour ce genre qui d’ailleurs exige plus de sentiment du théâtre que de grandes qualités musicales. Il faut reconnaître aussi que les chanteurs manquent. Cette habitude journalière du poignard les rend impropres à se mouvoir avec aisance et bonne grâce.

— Mais ce goût désormais seul régnant en Italie du pathétique et du tragique a-t-il une raison d’être et les événemens politiques y seraient-ils pour quelque chose ?

— Vous m’en demandez trop ; ce que je sais, c’est qu’un bon opéra comique plaira toujours pourvu qu’il soit convenablement exécuté. »

Ceci pourrait se dire à propos de la reprise du Comte Ory, mais nous n’y sommes pas encore ; continuons de feuilleter ces dialogues à bâtons rompus.

« Un jour, écrit M. Hiller, je le trouvai chantonnant du Beethoven.

— De quelle symphonie est-ce donc, cela ? me demanda-t-il.

— De l’Héroïque.

— Très bien ! Quelle puissance et quelle flamme chez cet homme ! et ses sonates pour piano, quel incomparable trésor ! .. Par momens, il m’arriverait de les placer plus haut que les symphonies ; il me semble y voir plus d’inspiration. Avez-vous connu Beethoven ?

— Je l’ai vu, mais quelques semaines avant sa mort, et j’étais alors tout enfant.

— Pendant mon séjour à Vienne, reprit Rossini, je me fis présenter à lui par le vieux Carpani ; malheureusement sa surdité et ma complète ignorance de la langue allemande rendaient impossible toute conversation. Au moins ai-je eu la satisfaction de le voir. Et votre Weber, encore un fier compère que vous avez là ! Comme il s’entend aux sonorités de l’orchestre ! A-t-il jamais écrit des symphonies ?

— Il l’a tenté, mais sans que l’essai fût des plus heureux. En revanche, ses ouvertures comptent chez nous parmi les plus brillans morceaux d’orchestre à figurer dans un concert.

— Et vous avez raison, quoique je n’approuve pas cette manière de produire dans une ouverture ses plus beaux motifs et de les déflorer gratuitement, puisqu’il est impossible de saisir d’avance leurs rapports avec le drame. Mais il avait de si merveilleuses idées, ce Weber ! Avez-vous présente à la mémoire la marche de son concerto pour piano et clarinettes ?

Rossini se mit à chanter la marche, puis continuant :

— Pauvre Weber ! il vint me voir en traversant Paris pour se rendre à Londres ; il avait l’air si affaibli, si souffrant, que je ne pouvais