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de faire de la république une domination de parti et de vouloir mettre au service de cette domination tous les procédés des pouvoirs à outrance, les expédiens et les abus qu’ils ont si souvent reprochés à d’autres ; leur erreur est de croire que parce qu’ils ont une majorité, ils peuvent tout, même refaire une France à leur image. Il s’est formé depuis quelque temps toute une école de politiques plus ou moins « réalistes » qui se sont souvenus qu’on a accusé autrefois leur parti d’être la dupe de chimères généreuses, d’abstractions impuissantes, et qui se sont dit que, cette fois, la république, souveraine incontestée, avait le droit de ne pas souffrir la dissidence, de se servir contre les autres des armes dont on s’est servi contre elle. Les traditions administratives les plus suspectes, les prérogatives les plus exorbitantes de l’état, les plus hardis procédés d’arbitraire, ne croyez pas qu’ils les dédaignent ou qu’ils les répudient ; ils prétendent les réserver pour eux et s’en faire un instrument de règne. Ils usent du gouvernement et de la force comme des parvenus usent de la fortune, avec le même étonnement de leur succès, la même arrogance et parfois la même gaucherie, au risque de ressembler à des conquérans dépaysés dans leur conquête.

Ils se croient et ils se proclament du ton le plus sérieux des hommes de gouvernement résolus à faire respecter l’autorité et les lois ; ils ne font qu’abuser du gouvernement et compromettre l’autorité publique en forçant tous les ressorts administratifs, au point d’étonner et de déconcerter ou d’amuser parfois l’opinion par cette ostentation de puissance. Le ministère, sous l’inspiration de la « politique des réalités » et des passions de secte qui animent trop souvent le parti, s’est jeté dans cette étonnante campagne qu’il vient de poursuivre contre les communautés religieuses. Soit, ne discutons pas, laissons de côté pour le moment les contestations de légalité et de principe. Admettons encore, si l’on veut, qu’il n’y a pas dans le pays pris en masse des sympathies bien vives pour les congrégations ; dans tous les cas, il n’y a non plus aucune animosité bien marquée, aucun mouvement d’hostilité, comme il y en a eu à d’autres époques. Ce qu’il y a au contraire de plus sensible dans l’état général de l’opinion, c’est le progrès de l’esprit de tolérance qui se manifeste par tous les signes, et c’est justement cet état de l’opinion, ce progrès évident de l’esprit de tolérance dans la masse du pays qui fait encore plus ressortir ce qu’il y a d’extraordinaire, de démesuré dans tout ce déploiement de force, de police et de moyens militaires. Jusqu’à quel point est-on resté dans la stricte légalité et s’est-on conformé par exemple aux règles précises, prévoyantes qui déterminent la forme, l’objet et la limite des réquisitions militaires, ce serait une question à examiner. En cela comme en bien d’autres choses, il y a eu des confusions qui auraient pu avoir des conséquences graves ; mais en dehors de cela n’est-on pas frappé de ce luxe,