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empressée dans cette vieille et brillante résidence de Fontainebleau qui a vu tant de scènes de l’histoire, qui parle de tout un passé depuis saint Louis jusqu’à Napoléon ; c’est aussi, à peu d’intervalle, ce jour de juin où, comme pour continuer les fêtes du mariage, le roi, jaloux et orgueilleux de son œuvre, se plaisait à guider lui-même l’élite de la France, pairs et députés, chefs de l’armée et de la magistrature, savans, écrivains, artistes, dans les nouvelles galeries de Versailles. Un peu de cet éclat rejaillissait sur le ministère associé aux bonheurs du règne.

Ce n’était cependant qu’une brillante apparence d’un moment déguisant à peine une situation mal engagée. Le ministère du 6 septembre 1836, devenu le ministère du 15 avril 1837 par l’exclusion de M. Guizot et de ses amis, restait une combinaison plus spécieuse que puissante, qui ne représentait réellement ni un mouvement d’opinion ni un ensemble de forces parlementaires, ni une direction précise dans les affaires intérieures ou extérieures. C’était le ministère de l’apaisement et de l’amnistie, il le disait, il le pensait ; mais l’amnistie n’était pas un système. Le chef du cabinet, M. Molé, avec des dons personnels de séduction et de sagacité, avait ses illusions. Il croyait trop clore l’ère des grandes luttes avec un mot et suffire à tout avec de la dextérité, avec l’art d’éluder les questions et de manier les hommes, en substituant la satisfaction des intérêts privés aux préoccupations passionnées des intérêts publics. Il se flattait trop de gouverner par des expédiens, de s’assurer une majorité, par des conquêtes individuelles, de se faire une politique en empruntant un peu à toutes les politiques, — au 11 octobre l’esprit de fermeté, au 22 février l’esprit de conciliation, — et de rester seul maître du pouvoir en neutralisant les partis les uns par les autres, en excluant les représentans les plus caractérisés de toutes les opinions, les chefs reconnus du parlement. Il s’était allié, au 6 septembre 1836, avec M. Guizot contre M. Thiers ; bientôt, en se séparant de M. Guizot au 15 avril 1837, il semblait revenir à demi vers M. Thiers, à qui il offrait même assez inutilement, pour l’éloigner en essayant de le gagner, une ambassade à Saint-Pétersbourg ou à Rome. Au fond, il n’avait d’autre politique intérieure que de vivre avec décence, sans puissance et sans éclat. C’était le ministère de la paix au dehors, il le croyait. Malheureusement c’était une paix diminuée depuis ces jours de la révolution de juillet où la France allait à Anvers et à Ancône, où elle couvrait du traité de la quadruple alliance l’Espagne constitutionnelle. C’était un peu la paix pour la paix, soit qu’il s’agît de l’intervention en Espagne que M. Thiers avait voulue, dont le ministère Molé désavouait la pensée, soit qu’il s’agît du règlement définitif du différend hollando-belge et du Luxembourg retiré à la Belgique, soit