Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’absolutisme européen. On accusait le ministère de laisser dévier et dépérir les institutions, de n’avoir rien de parlementaire ni dans son origine, ni dans sa composition, ni dans ses procédés, d’être un ministère de favoritisme « insuffisant » et « transparent, » aussi impuissant à contenir la royauté qu’à la couvrir. Le mot d’ordre pour tous, c’était la guerre au « gouvernement personnel, » la revendication des garanties de vérité et de sincérité qui sont la force du régime constitutionnel. M. Guizot, un des premiers, un des plus âpres au combat, où il portait peut-être, avec l’ardeur d’un parlementaire résolu, le ressentiment du vaincu du 15 avril, M. Guizot n’hésitait pas à préciser l’accusation. « Le cabinet, s’écriait-il, nous a jetés dans l’incertitude, dans la confusion, dans l’obscurité. Nous avons vu apparaître une politique sans système, point de principes, point de camp, point de drapeau, une fluctuation continuelle… Rien de fixe, rien de stable, rien de net, rien de complet. Savez-vous comment cela s’appelle ? Cela s’appelle de l’anarchie ! » Et tout cela signifiait : Qu’avez-vous fait de la politique de Casimir Perier qui a fondé la monarchie de juillet, cette monarchie compromise aujourd’hui par des complaisances de courtisans ? M. Thiers, quant à lui, n’avait pas été le premier à décider la campagne de la coalition, il n’était pas le dernier à la soutenir. Il entrait dans cette guerre avec son esprit alerte et souple, avec la vivacité de sa nature et l’art du tacticien, en homme prompt à saisir l’occasion, et, à dire vrai, si parmi les chefs de la coalition il y en avait un qui eût changé de rôle et de langage, ce n’était pas M. Thiers. Il faut se souvenir que M. Thiers avait perdu le pouvoir pour avoir voulu résister au roi, qu’il avait commencé son opposition au sein même du conseil, qu’il était sorti du ministère en chef d’opposition qui ne reniait nullement sa participation à l’œuvre d’ordre et de paix des premières années, mais qui croyait le moment venu de donner à la révolution de juillet une politique nouvelle. Il restait logique dans ses idées, dans sa conduite comme dans son langage.

Que disait-il un an avant la coalition ? « Prenez garde ! avec le temps, avec le succès, avec la paix, il vous est arrivé ce qui est arrivé à l’empire, à la restauration. Vous vous êtes peut-être un peu enivrés, vous vous êtes trompés sur l’époque juste où il fallait non pas changer, non pas démentir, mais modifier votre politique pour l’adapter à l’état nouveau des choses. Je vous dirai que, de même que dans la politique intérieure vous n’avez pas saisi le point juste où il fallait s’arrêter, peut-être aussi êtes-vous, sur la politique extérieure, un peu en arrière… Si vous avez eu besoin, pendant les sept premières années, de persuader à tout le monde que vous ne vouliez pas la guerre, prenez garde à une autre situation dans laquelle vous laisseriez croire au monde que vous la craignez. Il ne