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instant pour écrire à M. Guizot : « Je me hâte de vous dire que le ministère est constitué. Vous y verrez, parmi les membres qui le composent, deux de vos amis, Jaubert et Rémusat, dans tous les autres des hommes auxquels vous vous seriez volontiers associé. Nos fréquentes communications depuis dix-huit mois nous ont prouvé à l’un et à l’autre que nous étions d’accord sur ce qu’il y avait à faire soit au dedans, soit au dehors… Je serais bien heureux si, en réussissant tous les deux dans notre tâche, vous à Londres, moi à Paris, nous ajoutions une page à l’histoire de nos anciennes relations. Aujourd’hui comme au 11 octobre, nous travaillons à tirer le pays d’affreux embarras… » M. Guizot avait répondu en restant à Londres, en acceptant l’alliance qui lui était proposée, non cependant sans faire ses conditions, non sans prendre ses garanties contre ce qu’il appelait le « vice d’origine » du cabinet, contre les affinités avec la gauche. Et avec toutes ces difficultés d’une situation intérieure fort compliquée, il y avait la politique extérieure, cette question d’Orient que le ministère du 1er mars, pour son début, trouvait déjà singulièrement engagée.

Tout ce que pouvaient la dextérité, l’esprit, l’art de pallier ou de tourner les difficultés, la vivacité hardie, M. Thiers était assurément homme à le faire. Il avait le goût et le génie des combinaisons. Il avait besoin de toute sa souplesse pour se créer une armée, c’est-à-dire une majorité avec des groupes ennemis ou confondus dans le parlement, pour rassurer et rallier le centre sans décourager la gauche. A M. Guizot et à ses amis il disait que le ministère du 1er mars ne serait après tout que « le 11 octobre à cheval sur la Manche. » A la gauche qui réclamait des gages, des réformes, surtout la réforme électorale ou parlementaire, il disait que des réformes on en ferait sans doute, que c’était une affaire d’avenir, qu’on ne pouvait dire ni « aujourd’hui » ni « jamais. » A ceux qui lui demandaient un programme, le secret de sa politique, il répondait par ce beau mot de « transaction » qui clôt toutes les révolutions. « Pour moi, disait-il devant la chambre, je n’ai de préjugé contre aucun parti,.. Savez-vous ce que je crois ? Je crois qu’il n’y a pas ici un parti exclusivement voué à l’ordre et un autre parti voué au désordre ; je crois qu’il n’y a que des hommes qui veulent l’ordre, mais qui le comprennent différemment. Je crois qu’il n’y a rien d’absolu entre eux, et si vous vouliez mettre quelque chose d’absolu entre eux, savez-vous ce que vous feriez ? vous commettriez la faute qui a perdu la restauration… Si vous voulez placer entre eux le triste mot d’exclusion, il portera malheur à qui voudra le prononcer… » Toujours prêt aux affaires d’ailleurs, il charmait par son universalité, par la facile abondance avec laquelle il traitait de l’organisation de la banque, de la conversion des rentes ou des chemins de fer. Il