Mais Louis XVIII prenait au sérieux sa promesse de ne rien changer à l’organisation établie, et d’ailleurs son esprit mesuré goûtait peu ces bouleversemens. Aussi ajournait-il les projets successivement élaborés par le chancelier. Au milieu de ces tiraillemens le temps fuyait, et la date habituelle de la rentrée judiciaire s’était écoulée sans que l’institution attendue eût été donnée. Les tribunaux commençaient à murmurer : on faisait remarquer que partout en France la justice était rendue par des juges amovibles. Ainsi la restauration, en ne sachant se décider en aucune question, montrait cette impuissance qui multipliait les mécontens et préparait de nouvelles catastrophes.
Les députés perdaient patience ; ils allaient voter l’adresse proposée par M. Dumolard, lorsque, le 21 novembre, l’abbé de Montesquiou apporta à la chambre un projet qui, au travers de mesures sages, laissait deviner quelques-unes des pensées secrètes du ministère. Réduire de douze membres la cour de cassation, dont la compétence territoriale était restreinte comme la France elle-même, n’avait rien qui dût surprendre, mais, au lieu d’opérer par voie d’extinction, on laissait entendre qu’on choisirait les membres à exclure, faisant ainsi peser sur toute la magistrature, après six mois d’inaction, la menace contenue dans la charte. Enfin le chancelier, par un retour à l’ancien droit, pouvait présider les chambres de la cour de cassation. Ce projet, habilement rédigé, donna lieu à une discussion qui révéla bientôt la pensée qui l’avait inspiré.
Le remarquable rapport de M. Flaugergues, lu à la chambre le 17 décembre, dévoilait dès le début les passions rétrogrades qu’il s’agissait de combattre : « Ce fut, osait-il dire, une grande folie, en 1790, de croire que, pendant les siècles qui venaient de s’écouler, nos aïeux n’avaient rien imaginé de bon et qu’il fallait tout détruire. C’est une folie pareille, en 1814, de croire que, pendant les siècles d’efforts et d’événemens accumulés dans les cinq derniers lustres, nous n’avons plus rien inventé de meilleur, et qu’il faut rétablir tout ce qui existait avant la révolution. ». La leçon était sévère et présageait la fermeté du rapport. Sur le principe même de la loi, il n’élevait aucune critique. Avec la diminution de territoire, les travaux de la cour de cassation se restreignaient. Le rapporteur allait jusqu’à concéder que le choix royal devait présider à la réduction, pourvu que l’institution ne fût plus ajournée ; la France attendait impatiemment le moment où, par l’inamovibilité, elle jouirait enfin de l’indépendance de ses juges. Il fallait se souvenir que « Bonaparte la promettait sans cesse et que sans cesse Bonaparte la refusait. » M. Flaugergues ne se bornait pas à tirer une leçon de ce souvenir : il rappelait que le conseil des