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de l’assemblée nationale en atténua encore la portée, tout en maintenant l’investiture républicaine. C’est sur ce point que s’engagea la véritable discussion. M. de Montalembert vint demander que l’institution promise par la constitution fût donnée à tous les magistrats inamovibles. Il rappelait le décret du gouvernement provisoire affirmant que l’inamovibilité était incompatible avec le principe républicain, et montrait cette déclaration frappée d’un double démenti par le sentiment public et par le texte de la constitution républicaine. Entrant dans les détails de l’exécution, il prouva que cette mesure allait livrer à l’anarchie les corps judiciaires, suspendre la justice, condamner la magistrature, à partir du jour où la loi serait promulguée, à se transformer en solliciteuse ou à recourir à des intermédiaires chargés de circonvenir les ministres pour leur représenter sa position, ses droits, ses devoirs, ses besoins. L’effet de ce discours fut profond. M. Crémieux lui répondit en soutenant que si l’assemblée nationale n’avait pas perdu le sens des événemens de février, si elle avait encore conservé l’esprit de la révolution, il lui était interdit de laisser debout un seul pouvoir qui, fût antérieur à son origine. Il défendit les mesures qu’il avait prises contre les magistrats. Irrité des interruptions de la droite, le. libéral de 1820 se donna le plaisir d’une attaque facile en s’écriant : « Avons-nous oublié ce que les gouvernemens précédens ont osé sur la magistrature ? En 1815, vous l’avez brisée ; il est vrai que vous appeliez cela de l’épuration. » L’agitation prolongée qui succéda à ce cri de colère prouva que nul n’avait oublié les fautes de la restauration.

Ce fut M. Jules Favre qui répliqua à l’ancien ministre de la justice, et qui tint l’assemblée sous le charme d’une éloquence qui était alors toute nouvelle. Parti de l’extrémité opposée de l’horizon politique, l’orateur républicain arrivait aux mêmes conclusions que l’ancien pair de France. Comme lui, il voulait conserver l’inamovibilité ; mais s’il se levait pour la défendre, c’était dans l’intérêt de la république, afin d’éviter de porter dans le pays une perturbation funeste au gouvernement nouveau. Certes, il n’avait pas prévu que l’assemblée, que la nation elle-même dût être si peu réformatrice. Au lendemain de la chute de la monarchie, il avait cru que l’aurore d’un nouveau 89 allait se lever sur la France, que toutes les institutions allaient être retrempées au feu de la révolution, que le principe électif serait appelé à galvaniser les corps judiciaires ; il avait compris alors que l’inamovibilité fût répudiée ; mais le pays avait exprimé sa volonté : les réformes avaient été examinées avec défiance ; la chambre avait repoussé les innovations, elle avait voulu rassurer les intérêts, conserver et rétablir. Il fallait tenir compte de