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contribuaient à maintenir le renom de la justice civile. Il était temps que, du haut de la tribune parlementaire rétablie, le mal fut signalé et la méprise dissipée. Rarement l’orateur avait été mieux inspiré : on sentait qu’il était heureux de mettre au service de la magistrature et des lois les derniers échos de sa parole puissante. Le corps législatif était ébranlé. Le garde des sceaux, M. Baroche, dut faire de grands efforts pour ressaisir la majorité, qui inclinait à rendre aux compagnies leurs roulemens. Il y aurait échoué si, à bout d’argumens, il n’avait déplacé la question, forcé M. Berryer à parler dans sa réplique des services des magistrats récompensés par la chancellerie, et enlevé la chambre en soutenant que l’orateur de l’opposition venait d’injurier la magistrature. La parole fut refusée à M. Thiers, comme à M. Segris, et 48 voix se prononcèrent pour rendre à la magistrature les garanties nécessaires. Il est vrai que M. Émile Ollivier et ses futurs collègues avaient voté contre le gouvernement.

Aussi, deux ans plus tard, une des premières mesures du ministère libéral fut-elle de remettre en vigueur le sage décret de 1820, qui règle aujourd’hui la distribution des magistrats entre les chambres. Toutefois il est juste de reconnaître que le nouveau cabinet fut poussé dans cette voie par l’initiative d’un député qui, dès la fin de janvier, avait présenté au corps législatif un projet de loi sur la magistrature. M. Martel joignait à des convictions libérales fort vives les souvenirs d’une carrière judiciaire qui lui assurait, en ces matières, une autorité reconnue. Les dispositions du projet étaient sages et ne prétendaient à rien bouleverser : assurer la situation des juges de paix, en subordonnant leur choix comme leur révocation à la présentation ou à l’initiative des cours devenues les protectrices de leur indépendance, instituer des conditions d’aptitude à l’entrée de la magistrature, organiser des concours, investir les compagnies du droit de nommer leurs présidens, doter la cour de cassation d’un système de recrutement par cooptation, qui en ferait une académie de droit et de la jurisprudence, élever à soixante-quinze ans l’âge de la retraite, reconstituer la chambre du conseil, détruite en 1856 ; ne confier l’instruction qu’aux juges titulaires et rétablir enfin le roulement de 1820 ; telles étaient les réformes sur lesquelles M. Martel appelait l’attention des pouvoirs publics.

Ainsi, à l’heure où sonnait la chute du gouvernement de 1852, les amis éclairés comme les adversaires de l’empire étaient d’accord pour se préoccuper de l’insuffisance des garanties qui entouraient les magistrats et de la situation mesquine qui leur était faite par la hiérarchie sociale.

Le gouvernement de la défense nationale eut le bon sens de ne