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VI

Nous nous arrêtons à cette première discussion de l’assemblée nationale. Nous aurons occasion de rendre plus loin hommage aux efforts tentés depuis dix ans pour résoudre ce grand problème de l’organisation judiciaire. Dans cette période si rapprochée de nous, où tant d’études ont été commencées sans qu’aucune ait abouti, il serait fastidieux de chercher à renouer la suite chronologique de projets avortés. En examinant les réformes mûres que comporte la justice, nous passerons en revue les idées conçues et présentées par ceux des hommes publics qui avaient eu la sagesse d’aborder une tâche qu’il fallait accomplir sans tarder au risque de la voir tomber en des mains indignes.

Ce qu’il importe de ne pas perdre de vue en étudiant le sort et l’organisation du pouvoir judiciaire, c’est le rôle qu’il a joué parmi nous depuis la révolution. Il n’est pas une des formes qu’il a revêtues avant le commencement de ce siècle qui n’offre à la postérité une leçon. Tour à tour électifs ou soumis à la nomination d’un maître, sortis des délibérations d’électeurs choisis ou imposés par la fantaisie irrésistible d’un suffrage d’autant plus violent qu’il était moins libre, les tribunaux qui succédèrent à ceux de l’ancien régime n’eurent le temps de se faire ni une clientèle ni une place dans l’histoire. Étouffés par les désordres de la terreur qu’on pressentait, écrasés bientôt par le fracas sinistre du tribunal révolutionnaire, décimés par lui, chassés par le caprice des sections, ramenés en thermidor, affermis par la nouvelle constitution, puis bannis avec la réaction jacobine de fructidor, nommés par le pouvoir contrairement à toute loi, les juges qui siégèrent pendant ces neuf années nous montrent le spectacle de l’impuissance des institutions fondées sur le sable mouvant des fantaisies révolutionnaires. À cette instabilité qui avait lassé la nation succède un édifice solide dont les lignes étaient harmonieuses et la symétrie parfaite. L’organisation judiciaire est, à vrai dire, sortie des cahiers de 89 ; oubliée par les flatteurs du peuple, elle fut reprise et fécondée par le génie. Elle s’adapta merveilleusement à notre caractère et à nos besoins. Dotée des garanties de l’inamovibilité, la magistrature acquit une autorité et une influence considérables, recueillit dans son sein les esprits les plus distingués de cette vieille bourgeoisie française qui avait fait l’honneur de nos parlemens, se montra indépendante sous la restauration, ennemie résolue de l’anarchie à toutes les époques, peu disposée d’ailleurs à se mêler aux passions du dehors, rendant la justice civile avec une