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quarante enfans de sixième, de cinquième, de quatrième, auxquels le zèle mal entendu et la paresse d’esprit conseillaient ce pénible effort d’essayer de noter par écrit toutes les paroles du professeur ? Les laissera-t-il, avec leur écriture encore mal assurée, couvrir des pages entières de lignes sales et informes, se désespérer s’ils omettent un mot, interroger leurs voisins, perdre le fil et le faire perdre aux autres, se dépiter et ne plus rien reconnaître ? Ne devra-t-il pas, au plus vite, leur faire écarter plume et encre, les placer en présence de leur court sommaire, et leur offrir de faciles développemens, qu’ils comprendront sans le travail pénible et peu intelligent des notes ? La tâche n’est pas beaucoup plus facile pour les élèves des autres classes. Si l’on croyait pouvoir la supprimer absolument, ce serait à la condition de la rendre inutile par une exposition d’autant plus méthodique, d’autant plus intéressante, dont le sommaire dicté aurait fixé déjà les principales indications. Tout au moins est-il nécessaire de veiller à ce que ce travail, toujours difficile, n’absorbe pas une attention qui doit appartenir à la leçon du maître et non pas à la transcription de ses paroles. Il convient, en un mot, de tenir l’intelligence des élèves en éveil, et de susciter, en l’attirant à soi, leur active liberté.

J’avais à traiter un jour, en quatrième, à Louis-le-Grand, il y a quelque trente années, de la guerre du Samnium. Dans ce sujet complexe, le beau récit du Xe livre de Tite Live sur la bataille de Sentinum nous offrait un bel épisode. « Voyant que les Romains pliaient et n’écoutaient plus leurs chefs, Décius appelle le grand pontife et lui ordonne de dicter la formule du dévoûment. Après les prières solennelles, il ajoute qu’à présent marchent devant lui la terreur, la fuite, le carnage et la mort, la colère des dieux du ciel, la colère des dieux des enfers ; il proclame qu’il frappe des plus horribles anathèmes les drapeaux, les traits, les armures de l’ennemi, et que ce même lieu qui sera le théâtre de sa mort le sera aussi de la destruction des Gaulois et des Samnites. Après avoir prononcé ces terribles imprécations, et contre lui-même et contre les Gaulois, il lance son cheval à toutes brides au plus épais de leurs bataillons. A partir de ce moment, continue le grand historien, il n’est plus guère possible de reconnaître l’œuvre des hommes dans les événemens de cette journée : les Romains tout à coup se sont arrêtés dans leur fuite, et les voilà qui se portent en avant ; les Gaulois, comme frappés de vertige, velut alienata mente, restent à la même place, et leurs bras engourdis lancent au hasard des traits impuissans… » J’en étais là de ma lecture quand j’avise un de mes jeunes auditeurs qui, sans paraître beaucoup écouter, se livrait évidemment à quelque fantaisie sur son papier. Je me fais